Favoriser la transition écologique en combinant mathématiques et agronomie avec Greenshield

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Sur les 75 000 tonnes de pesticides produites en moyenne tous les ans en France, 65 000 sont utilisées, très majoritairement à des fins agricoles - ce qui représente [d’après Greenpeace] un tiers des tonnages consommés en Europe. La France est ainsi le deuxième marché européen et l’un des principaux consommateurs de pesticides dans le monde. Or, la grande majorité des pesticides (plus de 90 %) a un usage agricole. C’est pour mettre fin à cette aberration écologique que François Feugier a créé Greenshield, en mettant ses connaissances mathématiques au service d’un projet entrepreneurial au long cours.

Retour avec le fondateur et associé de Greenshield sur les origines de la startup et les différentes solutions développées à destination des agriculteurs. 

 

Comment, en faisant des mathématiques, se retrouve-t-on à innover dans le domaine agronome ? Tout part, comme souvent, d’une anecdote quasi insignifiante : un matin, François Feugier veut faire du thé à la menthe, mais celle qui se trouve dans son jardin est couverte de pucerons. Il décide alors d’utiliser un jet d’eau pour déloger ces nuisibles, sans grand résultat... Il se résout alors à laisser la menthe aux pucerons, et boire l’eau qu’il a faite chauffer. Devant son breuvage insipide, il se prend à imaginer un dispositif qui détecterait les bioagresseurs, et n’utiliserait pas d’eau mais un laser pour les neutraliser. Lors de son post-doctorat au Japon, le chercheur en biologie mathématiques creuse sa première intuition et dépose un brevet autour de ce procédé laser. Le brevet est déposé en PCT, c’est-à-dire qu’il peut être étendu au reste du monde. De retour en France en décembre 2013, François Feugier doit choisir entre commencer à travailler en tant que chercheur ou s’occuper de son brevet, qui risque sinon de tomber dans le domaine public. Attiré par le côté aventurier de l’entrepreneuriat, mû par la volonté de protéger l’environnement, François Feugier décide de se lancer et s’associe à Jean-Pierre Plonquet. De cette collaboration naît Greenshield.

Des premiers concours remportés au développement de solutions à destination des agriculteurs 

Lauréat du concours ILab en 2015, Greenshield empoche 40 000€ - “de quoi discuter plus facilement avec les labos”, selon François Feugier. En particulier, les laboratoires de l’INSA qui se montrent très réactifs et intéressés par le projet. Avec un budget minimaliste, les laboratoires se mettent à travailler sur une preuve de concept de l’appareil laser. En 2016, Greenshield remporte le concours GreenTech Verte (aujourd’hui : GreenTech Innovation) et reçoit 150 000€ pour poursuivre ses travaux.

En parallèle des recherches conduites en partenariat avec les laboratoires scientifiques, François Feugier et Jean-Pierre Plonquet décident de mettre leurs compétences au service du développement d’un autre projet : aider les agriculteurs à réduire leur usage des phytosanitaires.

Les phytosanitaires sont des pesticides - à chaque famille de pesticides son usage. Les herbicides permettent de détruire les adventices, les fongicides les champignons, les insecticides les insectes, les hélicides les escargots, etc. L’utilisation de pesticides comporte bien des avantages : elle est économique, et très efficace, même si certaines résistances peuvent apparaître avec le temps. “Si elle a apporté une productivité artificiellement élevée en agriculture, l’utilisation des pesticides a des impacts sur la santé dans la profession agricole et de pollution environnementale”, constate François Feugier. Le chercheur de formation insiste sur la nécessité de changer de modèle de production. Le frein majeur à l’adoption de produits bio, moins toxiques que les phytosanitaires, réside dans le fait qu’ils sont également moins efficaces. “Ainsi, le légume produit sainement, c’est-à-dire sans utiliser de phytosanitaires, coûte nécessairement plus cher”, explique le fondateur de Greenshield. Est-ce que les consommateurs sont prêts à acheter leurs légumes plus chers au nom de l’écologie ? “Si l’on veut se passer des phytosanitaires, il faudra que les mentalités changent”, prévient François Feugier.

Relevé agronomique terrain

La Surveillance agronomique, la solution pour réduire l’utilisation de phytosanitaires sur le court terme

Parce que les agriculteurs sont soumis à de nombreuses contraintes, notamment économiques, ils disposent d’une marge de manoeuvre faible dans l’adoption de nouvelles méthodes. “Il serait absurde d’arriver avec nos gros sabots pour leur proposer une solution disruptive qui remet en cause l’existant”, explique François Feugier. Fort de ce constat, Greenshield a mis au point trois solutions, entre réduction immédiate des phytosanitaires sans changement des pratiques - jusqu’à leur élimination, à plus long terme.

La première des solutions proposées par Greenshield, la Surveillance agronomique, est un système complet de surveillance et prévision. Lorsque l’agriculteur pulvérise de larges quantités de phytosanitaires sur son champ, il n’a pas besoin de le surveiller car les produits fonctionnent. Mais dès lors qu’il essaie de réduire la quantité de produits utilisés dans le but d’améliorer ses pratiques, il va se retrouver avec un risque accru de voir des maladies apparaître. C’est pour maîtriser les risques liés aux changements de pratiques que Greenshield a développé ce système de surveillance agronomique, reposant sur le VineMapper, un capteur embarqué sur tracteur, pour cartographier les anomalies. Lorsque le tracteur se déplace au sein d’une parcelle, le capteur prend des photos haute résolution qui sont analysées en temps réel par une Intelligence Artificielle embarquée, pour y détecter des anomalies - comme la présence de bio-agresseurs (ravageurs, symptômes de pathogènes, etc.). Le logiciel génère en temps réel une carte sur laquelle figure la distribution de la maladie dans la parcelle.

Cette technologie a été initialement développée pour le secteur de la vigne. La raison ? “La vigne est une culture à forte valeur ajoutée et où il y a encore une grande marge possible en termes de réduction de phytosanitaires, ce qui justifie l’utilisation d’une telle technologie”, explique François Feugier. Commercialisée fin mars 2022, la solution de Surveillance agronomique constitue un excellent outil de suivi de l’état sanitaire des parcelles pour le viticulteur, qui peut aussi utiliser les appli mobiles de cette solutions pour aller sur le terrain aux endroits des anomalies détectées, et enrichir le niveau de reconnaissance de l’IA grâce à des corrections faites sur l’appli. La Surveillance agronomique est un système apprenant.

Test prototype Vine Mapper

La stratégie long terme de Greenshield : motifs anti-percolation et module laser de désherbage

A plus long terme, la stratégie de Greenshield est claire : faire passer les agriculteurs de la réduction progressive à l’élimination pure et simple des phytosanitaires. En s’entourant dès 2019 de plusieurs profils scientifiques de pointe (une ingénieure agronome, un docteur en IA et analyse d’image, un docteur en physique, un docteur en mathématiques et probabilités), l’entreprise a pu continuer de développer son module laser de désherbage, tout en développant d’autres projets en parallèle. L’un d’eux, est la stratégie des motifs « antipercolation ».

Pour comprendre le principe des motifs anti-percolation, il est utile de faire un détour par l’exemple du feu de forêt. Comme l’explique François Feugier, si on laisse au moins 41% de “trous” (c’est-à-dire de vide) placés aléatoirement dans une forêt idéalisée d’arbres plantés sur une matrice carré, et que l’on démarre un feu à n’importe quel endroit, ce dernier mettra un temps “infini” (notion mathématique pour dire qu’il n’y parviendra pas) à brûler le 59% d’arbres qui constituent cette forêt. 41% correspond en fait au seuil de percolation à partir duquel le feu, où toute maladie qui se déplace de proche en proche, va s’arrêter après le démarrage. En partant de ce principe et en le transposant au problème agricole (le feu devient la maladie, les plantes non traitées les arbres, et les plantes traitées les trous dans la forêt), Greenshield a mis au point des cartes avec des motifs anti-percolation, que l’agriculteur peut utiliser pour pulvériser ses phytosanitaires. De plus cette approche est dynamique : les motifs changent régulièrement, de sorte que ce ne sont jamais les mêmes plantes qui sont pulvérisées. Ainsi, il est possible de réduire de façon immédiate la quantité de produit utilisée sans changer de matériel. Bref, une technologie disruptive pour la réduction des phytosanitaires, mais pas pour les habitudes des exploitants. De plus en plus d’exploitants sont équipés de pulvérisateurs capables d’être commandés par tronçons, de façon indépendante, pour aboutir à une pulvérisation de précision. Cette solution leur fournit une stratégie de lutte contre les bio-agresseurs clé en main, grâce aux cartes de préconisation fournies par Greenshield, en utilisant leur matériel existant d’une façon encore jamais exploitée auparavant pour réduire la quantité de produit utilisée.

Test motifs anti-percolation


Testé sur la betterave et sur la vigne, ce procédé permet à l’agriculteur de réduire immédiatement l’utilisation de phytosanitaires. Les premiers résultats sont probants : sur la betterave, le dispositif mis au point par Greenshield permet de réduire de 29,3% l’utilisation des phytosanitaires, pour une baisse moyenne de productivité de 3,7%. Sur la vigne, malgré une année à mildiou, la baisse de produits (biosolutions) était de 26%, pour une baisse de rendement de 2 à 3% . Il reste encore des leviers d’amélioration tels que la taille des motifs et l’agenda des traitements. La forme des motifs antipercolation est décidée à l’aide de jumeaux numériques de la maladie et des cultures, sur des parcelles agricoles virtuelles, pour y faire des expérimentations et tester la propagation de maladies, sans aucun coût. Le gain de temps est énorme : au lieu d’utiliser des hectares pendant plusieurs années pour réaliser des tests empiriques, les équipes conduites par les deux associés, qui comptent une quinzaine de salariés, le font avec la modélisation. Le principe des motifs antipercolation peut aussi être appliqué à d’autres leviers que les phytosanitaires. L’entreprise travaille activement à élargir ce principe grâce aux mathématiques.

En parallèle de cette activité, Greenshield a poursuivi ses travaux sur le module laser de désherbage. Quel est son fonctionnement concret ? “Un robot transporte le module laser au-dessus des cultures, l’appareil reconnaît les adventices et les détruit avec une impulsion laser”, décrit François Feugier. In fine, l’idée est de remplacer les herbicides en maraîchage par un désherbage de précision. Ces deux solutions, le laser comme les motifs anti-percolation, sont plus longues à mettre en oeuvre que la surveillance agronomique car nécessitent des tests et des ajustements.


Test prototype module laser

Un positionnement singulier qui met l’agriculteur au coeur de sa démarche

Là où l’entreprise se différencie de ses concurrents, c’est dans l’utilisation et la valorisation qui sont faites des données. “Pour fonctionner correctement, l’algorithme qui sous-tend la détection faite par le VineMapper a été entrainé sur un dataset conséquent de cépage de Cognac”, complète Mathieu Plonquet, product manager chez Greenshield.

Outre cette approche centrée sur la data, Greenshield se différencie également par sa stratégie commerciale. Comment vendre des produits Tech au monde agricole ? “De nombreuses startups font le pari de commercialiser leur solution sur étagère”, explique Mathieu Plonquet, “bien souvent pourtant, l’agriculteur se retrouve avec une solution qu’il ne parvient pas à faire fonctionner”. Chez Greenshield, au contraire, c’est une vision systémique et intégratrice qui a été privilégiée. “L’idée sous-jacente, c’est d’accompagner l’agriculteur au début pour qu’il gagne ensuite en autonomie”, révèle le product manager. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’a été développée la plateforme web destinée à accompagner l’utilisateur des solutions Greenshield. Le rêve de l’entreprise ? “ Aider les exploitants dans leur transition vers des pratiques agroécologiques, en développant des stratégies clef en main de lutte contre les bioagresseurs, mises à disposition à travers un système globale de protection des cultures”, conclut humblement François Feugier.

Test appli mobile sur tablette