Après 10 ans de développement, Algentech veut exporter sa technologie d'édition du génome végétal aux Etats-Unis

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Il y a un peu plus d'un an, en janvier 2020, la biotech Algentech se voyait délivrer un brevet déposé en 2010 aux Etats-Unis pour sa dernière trouvaille technologique dans le domaine de l'édition du génome végétal. Quelques mois plus tard, en octobre, un binôme de scientifiques, la Française Emmanuelle Charpentier et l'Américaine Jennifer Doudna, ont reçu le prix Nobel de Chimie pour leurs travaux datant de 2012 sur Crispr Cas9. Derrière cet acronyme compliqué quoique très médiatisé, se cachent les "ciseaux à ADN" qui ouvrent des perspectives vertigineuses en matière de génétique.

L'occasion de revenir avec Isabelle Malcuit, qui a co-fondé Algentech en 2009 alors qu'elle travaillait au sein d'un laboratoire de recherche anglais, sur la trajectoire de la biotech française et les défis qui l'attendent pour la décennie à venir.

Dès sa création, Algentech voit large - à commencer par son nom, qui est la contraction de "all genes technologies" (littéralement : les technologies du génome). Lorsqu'ils ont l'idée de créer la société, Isabelle Malcuit et Alexander Sorokin travaillent encore dans un laboratoire de recherche public en Grande-Bretagne, spécialisé dans la virologie des plantes. Très vite et en parallèle de leurs travaux de R&D, les deux chercheurs réalisent le potentiel des applications qui pourraient dériver de leurs idées. Si plusieurs pistes et ébauches de projets se présentent à eux, ils choisissent finalement de se lancer dans l'édition du génome, un domaine qui commence à être très prisé par les laboratoires à l'époque.

Edition du génome végétal versus OGM

Pour comprendre la proposition de valeur d'Algentech, il faut en revenir aux bases de la génétique. Au même titre que tous les êtres vivants, les végétaux ont de l'ADN qui détermine en partie ce qu'ils sont. Lorsqu'on parle du génome d'une plante, on désigne l'intégralité de son code génétique : l'ensemble des gènes, qui codent pour des protéines qui elles-mêmes sont les ouvrières nécessaires à la vie de l'organisme. "Le génome, c'est l'information génétique des plantes", résume sommairement Isabelle Malcuit.

Dès lors, l'activité d'Algentech, qui repose sur le développement de technologies de pointe appliquées au génome végétal, se scinde en deux activités principales : d'abord, la biotech fait de l'édition du génome végétal, ce qui signifie qu'elle a développé un procédé pour agir directement sur le génome de la plante, au niveau de son ADN et ce, sans insérer de gène étranger. Cette activité n'a donc rien de "transgénique" - du nom des techniques apparues dans les années 1990, qui consistent à insérer un gène étranger à l'organisme dans le génome de ce dernier - souvent dans l'espoir de le rendre plus résistant. Parce qu'ils reposent sur la transgénèse, les OGM, ou "Organismes Génétiquement Modifiés", sont de plus en plus critiqués en Europe. Ce qui interpelle la chercheuse, c'est le fait que l'édition du génome végétal soit considérée comme faisant partie de la catégorie des OGM en Europe, contrairement aux Etats-Unis. "C'est la différence entre les Etats-Unis, où les technologies d'édition du génome ne sont pas considérées comme relevant des OGM, et l'Europe, qui met dans le même panier ce qui est transgénique et ce qui est génétiquement modifié", constate Isabelle Malcuit.

Parallèlement à cette activité d'édition du génome, Algentech utilise également les plantes comme usines de production. Concrètement, la biotech cultive sous serres des cellules végétales pour produire différents composés, comme des biopesticides ou des enzymes pour biocarburants

Agro-alimentaire, biocarburants et biohydrogènes

Au-delà de la différence d'étiquette et des débats entourant l'édition du génome végétal, ses applications sont nombreuses. Prenons un cas concret : certaines variétés de maïs sont plus ou moins résistantes aux maladies. Or, le fait d'être résistant à telle maladie est déterminé par le gène que possède la plante. Grâce à sa technologie d'édition du génome, Algentech vient agir directement sur le génome pour manipuler le gène responsable de la résistance à ladite maladie. Ainsi, au lieu d'intégrer à la variété de maïs le gène d'une autre plante plus robuste, Algentech travaille directement sur le génome du maïs pour lui permettre de devenir résistante aux menaces qui pèsent sur elle. Grâce à l'édition du génome, la biotech accélère en fait artificiellement la sélection variétale : "Nous faisons ce que la Nature fait mais de manière plus rapide", théorise Isabelle Malcuit.

Quant à son activité de production, Algentech se focalise sur la fabrication d'insecticides verts ou "biopesticides". "Nous souhaitons nous démarquer de la norme actuelle qui consiste à produire des produits chimiques de synthèse," explique Isabelle Malcuit. "Aussi travaillons-nous, en culture végétale d'intérieur, sur la production en grandes quantités de molécules naturellement produites par les plantes, et destinées à être ensuite utilisées dans les champs". Algentech cultive notamment les cellules de tabac, "faciles à manipuler", mais aussi les carottes ou les lentilles d'eau. Pour mener à bien ces projets, l'équipe de 8 chercheurs dispose de serres dans le centre INRAE de Versailles.

En matière d'applications, Algentech ratisse large, puisque sa technologie peut être appliquée à de multiples secteurs. De l'agro-alimentaire aux biocarburants, en passant par les bio-hydrogènes, la biotech travaille sur "tout ce qui utilise les plantes comme supports", ainsi que le résume Isabelle Malcuit. Le modèle économique consiste en la vente de licences d'exploitation à d'autres biotech ou à des industriels qui trouvent ensuite des applications à la technologie d'Algentech. "Dans l'immédiat, nous n'avons pas vocation à devenir une usine de production", confie celle qui possède un PhD en virologie des plantes, "nous préférons vendre une technologie et ses potentialités sur différents secteurs".

Du laboratoire anglais à l'implantation dans une pépinière de l'Essonne

Rétrospectivement, le fait que les deux docteurs en génétique aient élu la France pour héberger leurs recherches n'a pas tenu à grand chose. "Nous avions pour projet de démarrer Algentech en Angleterre, un pays réputé très favorable aux entreprises, mais la crise de 2008 a sérieusement compliqué notre recherche de financements", témoigne Isabelle Malcuit.

C'est au Genopole, le Groupement d'Interêt Public situé à Évry-Courcouronnes et dédié à l’innovation en biotechnologies et à l’excellence scientifique, qu'Algentech prend réellement forme. "Lorsqu'on se lance dans un projet d'entreprise, ce n'est jamais évident de matérialiser l'idée", confie Isabelle Malcuit, "et de ce point de vue là le Genopole nous a très bien encadrés". Financé par l'Etat, la structure met à disposition des jeunes biotech des chargés de mission qui aident les fondateurs sur les aspects business, mais aussi en matière de veille technologique et de relations avec les investisseurs. Lorsque la startup dépassera le million d'euros de chiffres d'affaires, elle devra reverser 30 000 euros au Genopole - "ce qui ne répresente pas grand chose par rapport à ce qu'ils nous apportent", commente Isabelle Malcuit, qui reconnaît avoir appris le métier d'entrepreneur sur le tard. "On a tendance à oublier qu'en France, de nombreuses aides sont mises à disposition des entrepreneurs qui souhaitent démarrer une activité, à commencer par le Crédit Impôt Recherche".

Des années de recherche avant de partir à la conquête du marché américain

Il faut bien se rendre compte que le rythme de développement d'une biotech est incomparable à celui de la plupart des entreprises. Il a fallu 4 à 5 années à Algentech pour mettre au point toutes les preuves de concept de laboratoire - soit autant d'années sans générer le moindre chiffre d'affaires. Les premiers contrats en Inde, en France et en Belgique ont permis à l'agrobiotech de financer la R&D nécessaire pour déposer ses premiers brevets. "Avoir un portefeuille de brevets assez étoffé requiert et du temps, et de l'argent", admet Isabelle Malcuit. "Au départ, la R&D constituait 70 à 80% de notre activité, qu'il fallait bien trouver un moyen de financer". Deux types d'acteurs sont cruciaux d'après la directrice exécutive d'Algentech : le Crédit Impôt Recherche, "dispositif vital pour ce genre de projets", et les investisseurs - essentiellement des réseaux de Business Angels dans le cas d'Algentech. **Lorsque tombent les premiers contrats, c'est le financement en co-développement avec les industriels qui prend le relais.

Dix ans plus tard, ces investissements ont porté leurs fruits : Algentech dispose de 64 brevets déposés en Europe, aux Etats-Unis, au Canada, en Inde et en Australie - et, dernièrement, en Israël et en Chine. Si jusqu'à présent, la biotech faisait appel à des consultants dans le secteur agro-biotech pour commercialiser ses licences d'exploitation, l'heure est au changement d'échelle. En effet, l'équipe vient de signer avec des entreprises spécialisées dans la vente de licences aux industriels sur le marché américain. Aux Etats-Unis, la concurrence sera plus rude : nombreuses sont les biotech qui travaillent sur l'édition du génome. Le fait que cette activité ne soit pas labellisée OGM, comme elle peut l'être en Europe, a en effet ouvert la voie à la recherche et à l'innovation pour les entreprises. "En Europe, on ne fait pas le poids", regrette Isabelle Malcuit. La dirigeante pointe également la différence d'attitude entre les investisseurs américains et les VC européens : "Nous n'avons pas voulu lever de fonds auprès des gros investisseurs européens car nous avions la sensation de ne plus contrôler la gouvernance de notre entreprise". "Aux Etats-Unis, les investisseurs sont dans un état d'esprit complètement différent", constate Isabelle Malcuit. On ne peut que souhaiter à Algentech d'y trouver le succès.