Syroco EfficientShip, la décarbonation du transport maritime par la simulation numérique
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Responsable de 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, le transport maritime se voit chaque jour un peu plus dans l’urgence d’améliorer son efficacité énergétique. Mais les armateurs peinent à déterminer quelle solution est la plus efficace pour décarboner leur flotte. Un flou que veut dissiper la start-up marseillaise Syroco grâce à son logiciel de simulation numérique « EfficientShip ».
De l’Exxon Valdez en 1989 à l’Ever Given au printemps 2021, lorsque le transport maritime fait la Une des journaux, c’est souvent pour ses conséquences néfastes en matière écologique ou économique. Le secteur se voit en effet régulièrement accusé d’être un gros pollueur, pesant pas moins de 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Pourtant, le transport maritime fait figure de bon élève face aux autres moyens de transport de marchandises si l’on considère la tonne au kilomètre. Car il représente à lui seul, pas moins de 90 % des échanges commerciaux de la planète. Et cela n’est pas près de diminuer, c’est précisément ce qui inquiète. Si rien ne change, le transport maritime pourrait générer 17% d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, prévient l’Organisation maritime internationale (OMI).
Or 2050, se joue aujourd’hui puisque les navires de transport de marchandises ont une durée de vie moyenne de 30 ans. Il y a donc urgence à trouver des solutions pour réduire leurs émissions, et donc optimiser leur consommation d’énergie. Si beaucoup d’entreprises et d’armateurs travaillent à l’utilisation de carburants « propres » et sur les modes de propulsions, la start-up marseillaise Syroco se positionne, elle, au croisement de toutes ces approches.
En 2020, la start-up spécialisée dans le « climate tech » (c’est-à-dire les technologies visant à répondre au changement climatique) a lancé sa solution pionnière nommée « EfficientShip » : une plateforme de simulation numérique, qui vise à optimiser l’efficacité énergétique de tout type de navire via un système de « jumeau numérique ».
Utiliser l’exploit pionnier pour générer de l’innovation
Syroco, c’est d’abord une histoire de records de vitesse. Ceux, pour commencer, d’Alex Caizergues, le CEO et co-fondateur de la start-up, également athlète et plusieurs fois champion du monde de vitesse en kitesurf. Mais en quelques années de carrière sportive, Alex Caizergues a rapidement atteint un niveau où battre des records relève moins du défi sportif que du défi technologique.
« Alex s’est alors demandé comment utiliser l’innovation que génère la recherche des records pour développer des solutions vertueuses », explique Yves de Montcheuil, l’un des autres co-fondateurs de Syroco. Alex Caizergues se tourne alors vers des entrepreneurs du numérique. Ensemble, ils font naître l’idée de s’attaquer au record de vitesse sur l’eau (WSSR, World Sailing Speed Record) en construisant un speedcraft dont l’objectif est d’atteindre les 150km/h par la seule propulsion au vent.
Et c’est précisément derrière ce défi que se trouve le cœur de l’innovation. En effet, pour construire un engin capable de « pulvériser » le record de vitesse, l’équipe a dû concevoir des solutions logicielles de simulation de performance qui n’existaient tout simplement pas : c’est ainsi qu’est né Syroco EfficientShip.
Un jumeau numérique pour pratiquer des tests sur des milliards de milles nautiques
L’objectif d’EfficientShip : optimiser l’efficacité énergétique d’un navire, en fonction de ses caractéristiques propres et de celles de l’environnement dans lequel il évolue. Comment ? En créant son « jumeau numérique » : il s’agit de la « représentation virtuelle d’un navire qui existe vraiment, ou qu’il est prévu de construire », explique Yves de Montcheuil. « Ce jumeau numérique, on va le configurer et l’équiper de différentes options. Puis, on va le faire naviguer virtuellement sur des routes maritimes réelles, avec des conditions de navigation qui correspondent à la réalité rencontrée à différentes dates. »
Les algorithmes mis au point par Syroco dans la plateforme EfficientShip vont permettre d’analyser la performance du bateau virtuel dans ces différentes conditions, afin d’en trouver la meilleure optimisation. Cela permet par exemple de déterminer au mieux sa trajectoire, son angle de barre, mais aussi sa puissance moteur, l’utilisation de voiles et leur configuration, ou le basculement entre différentes énergies.
Un travail qu’il serait impossible de mener à échelle réelle. Récemment, un des clients de la start-up a par exemple testé différentes configurations de navires sur 4 milliards de milles nautiques simulées, soit l’équivalent de quasiment 200.000 tours du monde virtuels.
Trouver la solution optimale pour chaque navire
Jusqu’à présent, des solutions de ce type existaient dans l’industrie automobile ou aérienne, mais rien dans le transport maritime qui peine à se moderniser. « Les technologies utilisées sur un bateau navigant aujourd’hui n’ont pas beaucoup changé par rapport à ce que c’était il y a 50 ans », explique Yves de Montcheuil. « Si on compare à la sophistication d’un avion, ou même d’une voiture, on est à l’âge de pierre de l’innovation ».
Aujourd’hui, l’essentiel de la R&D visant à réduire la consommation énergétique des navires se concentre sur l’utilisation de carburants alternatifs (gaz naturel liquéfié, hydrogène, ammoniac, etc.) ou de modes de propulsion (électrique, par le vent, etc.). L’approche de Syroco est, elle, transversale car elle permet aux armateurs de déterminer lesquelles de ces innovations vont être les plus rentables, en testant virtuellement ces différentes options. « Il n’y a pas une réponse universelle, cela va dépendre du type de bateau, de sa taille, et de ses conditions d’exploitation », explique Yves Montcheuil.
Les algorithmes en appui de la navigation
Mais l’intérêt du jumeau numérique ne s’arrête pas là. Une fois la configuration et la trajectoire optimisées en bureau d’étude, vient le deuxième volet de la plateforme, lorsque le bateau est en mer.
EfficientShip permet d’accompagner les équipages dans la navigation, à l’instar du système de pilotage d’un avion. « Connecté aux systèmes de bord et aux sources de données externes (météo, etc.), le jumeau numérique va guider l’équipage sur la bonne exploitation du bateau, en automatisant ce qui peut l’être, ou quand ce n’est pas le cas, en fournissant des recommandations », détaille Yves de Montcheuil. Cela permet de parer à d’éventuelles déviations dues aux conditions météorologiques, ou de réajuster sa consommation d’énergie en cours de route. La traversée terminée, vient une dernière étape : celle de l’analyse des données recueillies.
Autre bénéfice des simulations d’EfficientShip : renforcer la sécurité des navires et l’efficacité opérationnelle. Chaque année, 12.000 conteneurs tombent par exemple à l’eau. « Le jumeau numérique permet aussi d’étudier la sécurité des manœuvres, par exemple, de s’assurer qu’on ne va pas mettre le bateau ou sa cargaison en danger », ajoute Yves de Montcheuil.
Décarboner, un avantage aussi concurrentiel
Plusieurs études ont déjà permis d’évaluer le bénéfice de ces optimisations. Une simple optimisation du fonctionnement d’un navire, sans le modifier, et de sa trajectoire, permet de réaliser de 2 à 5 % d’économies. Lorsque viennent s’ajouter, par exemple, des options de propulsion, le gain attendu est de l’ordre de 10 à 20 %, voire même jusqu’à 50 % d’économie d’énergie pour un bateau nouvellement conçu propulsé par le vent. Des investissements coûteux, pour lesquels la plateforme EfficientShip permet d’évaluer l’intérêt en amont.
EfficientShip s’adresse à tous les acteurs du maritime : bateaux de transport de marchandises, de transport de passagers, navires de servitude opérant sur les champs offshores, et bateaux de pêche. Car la course à l’efficacité énergétique est aussi un avantage concurrentiel : « Ceux qui décarboneront le mieux auront le business que les autres n’auront pas », souligne Yves de Montcheuil. En outre, il y existe aujourd’hui une forte pression de la part de l’ensemble des acteurs (le transport maritime lui-même, les politiques, les collectivités locales, et l’opinion publique) pour un transport plus propre avec des contraintes réglementaires qui font peser la menace de lourdes amendes.
Un marché potentiellement très vaste
Syroco reste au début de la commercialisation de sa solution, avec les premiers projets pilote ayant vu le jour début 2021. La start-up, qui emploie une vingtaine de personnes et compte déjà une douzaine de clients, propose un prix au navire, sur un modèle de souscription avec récurrence. Un modèle dont la scalabilité est importante et peut facilement s’étendre à l’ensemble d’une flotte.
Ainsi, avec un marché potentiellement très vaste, Syroco espère poursuivre son développement et laisser son empreinte sur les opérateurs-utilisateurs et propriétaires de flotte, sur les concepteurs et les fabricants de bateaux, en France, comme à l’international. Avec la moitié des navires en circulation ayant actuellement plus de 15 ans, et l’obligation faite aux transporteurs de réduire de 50 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, la flotte numérique d’EfficientShip devrait donc continuer de s’agrandir.
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