Sinay, ou l’intelligence artificielle au service de la protection des océans

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Hauteur des vagues, qualité de l’eau, biodiversité marine, optimisation de route… Grâce au big data et à l’intelligence artificielle, la société Sinay a mis au point une plateforme numérique à destination des armateurs, des ports et des constructeurs de plateforme en mer pour à la fois améliorer leur rentabilité et minimiser leur impact environnemental. 

On protège mieux ce que l’on connaît bien. Voilà comment l’on pourrait résumer la philosophie de Sinay, qui, depuis près de quinze ans, s’attache à collecter une mine d’informations sur nos océans. “Notre vision est assez pragmatique. Nous savons que l’on ne peut pas bannir l'Homme des océans, car la mer est nécessaire à notre survie. Alors l’idée est d’apprendre à cohabiter, à mieux y pêcher, à mieux y construire et à mieux s’y déplacer”, résume Thierry Ducellier, directeur commercial. 

L’histoire de Sinay est intimement liée à celle de son fondateur, Yanis Souami. Ingénieur agronome de formation, celui-ci est passionné par la mer depuis toujours. “Il a étudié le milieu marin et en particulier les dauphins et leur manière de communiquer. Son rêve de les sauver et de les comprendre a fini par évoluer dans l’entrepreneuriat”, raconte Thierry Ducellier.

Une approche “avant tout environnementale”

Le jeune entrepreneur crée Sinay en 2008, une entreprise (dont le nom est l’anagramme de son prénom !) dédiée au développement de l’économie maritime en harmonie avec l’environnement. “Au départ, son but était d’analyser les déplacements des mammifères marins, il s’est donc rapproché de ceux qui pourraient être également intéressés par ce genre d’informations : les pêcheurs”, las de trouver des dauphins pris par erreur dans leurs filets, et avec qui Sinay collaborent toujours étroitement depuis.

D’abord en solo dans son aventure, Yanis Souami s’est rapidement entouré d’experts marins tels que des biologistes. Sinay est devenu un bureau d’études, apte à “répondre aux réglementations en vigueur”. “Notre approche était avant tout environnementale. C’est ensuite, en 2017, que l’on a basculé vers l’IT”, souligne le directeur.

Car, au cœur de Sinay, se trouve désormais un joyau technologique : le Sinay Hub, une plateforme en ligne nourrie par des téraoctets de données. “Position des navires, météo, courants, mouvement des mammifères marins, qualité de l’eau et de l’air, acoustiques sous-marines… Nos données sont multiples et proviennent de nombreuses sources, humaines, automatiques ou spatiales. On se branche par exemple à des capteurs type bouées, sonde environnementale ou imagerie satellite, et on récupère également les observations faites avec notre bureau d’études”, énumère Thierry Ducellier. Ensuite, la plateforme combine et analyse ces informations, et les utilise avec des algorithmes d’intelligence artificielle basés sur du machine learning afin d’obtenir des indicateurs-clefs. A la fin, il suffit au client de cliquer sur son tableau de bord virtuel pour consulter facilement ses indicateurs en temps-réel et ses rapports.

Au secours d’un secteur maritime peu digitalisé

Une innovation qui tombe à pic pour le secteur. Alors que les océans apportent chaque année à l’économie mondiale une valeur ajoutée de 1.500 milliards de dollars selon l’OCDE, le secteur maritime reste assez artisanal et peu digitalisé. “Par exemple, aujourd’hui, l’heure d’arrivée dans les ports - que l’on appelle l’ETA - est souvent erronée car il peut y avoir une tempête ou un changement de cap. Et ça crée de la congestion et des problèmes en cascade, notamment avec les dockers”.

Sinay a donc entraîné ses algorithmes sur ce problème et propose maintenant un outil calculant automatiquement l’heure d’arrivée en fonction du navire et de son parcours. Avec cette connaissance de la situation en temps réel, le commandant de bord peut aussi être informé de l’avance ou du retard de son bateau, et donc décider de contacter son port d’arrivée ou de changer de cap. “Toujours dans notre optique environnementale, cela nous permet aussi de dire aux navires de ralentir - et donc d’économiser du carburant -, car leur port d’arrivée est congestionné et que cela ne sert à rien d’y être trop tôt”, ajoute-t-il. 

Des solutions à la fois scalables et personnalisées pour chaque client 

Les armateurs se montrent également plus soucieux de leur impact sur l’environnement. Sinay leur propose donc d’être avisé de leur consommation de CO2 lors d’un trajet, en fonction de la vitesse du navire et de son gabarit, mais aussi de connaître leur signature acoustique et d’être prévenu lorsqu’ils pourraient perturber l’écosystème local en traversant une zone protégée. “C’est de l’optimisation de route. L’idée est de multiplier les sources d’informations pour finalement pouvoir leur dire : “en prenant ce cap, vous allez pouvoir économiser du carburant, réduire votre empreinte carbone, éviter de traverser un banc de baleines et vous n’aurez pas accumulé de retard à votre port d’arrivée””, explique l’expert.

D’autres acteurs dans le maritime proposent des outils ressemblants, mais il s’agit de simples “marketplace rassemblant diverses applications”, compare-t-il. “Il n’y a pas cette notion de la gestion du big data”.

La société met un point d’honneur à s’adapter aux besoins de ses différents clients. “Si un armateur, par exemple CMA-GCM, nous dit qu’il a besoin de connaître l’impact du bruit de ses navires, on va réfléchir à comment agréger nos différents flux de données pour obtenir cette information et créer une application personnalisée, là où un concurrent se contentera de lui dire de quelle techno il a besoin”, met en avant Thierry Ducellier. La société propose soit un forfait ponctuel (professionnal service) ou un abonnement sur un mode SaaS, permettant un accès au long cours à ses logiciels.

Des ports plus propres grâce à des données en temps réel

Du côté des ports, Sinay les aide à devenir à la fois plus propres et plus “connectés”. Alors que les réglementations ont tendance à se durcir localement et à l’international, la plateforme Sinay Hub leur permet de se mettre plus facilement en conformité.

“Les ports sont souvent détenus par les autorités publiques, comme des régions, des gouvernements, des villes”, explique la société, qui compte parmi ses clients le port de Saint-Nazaire, de Guyane ou encore de Guadeloupe.

Alors qu’actuellement les ports sont forcés de faire régulièrement des prélèvements manuels et des analyses de leur eau ou de leur air, Sinay leur propose un contrôle en temps réel de ces facteurs. “Avec une sonde placée au bon endroit, l’information remonte directement et s’affiche simplement grâce à notre outil de visualisation. Celui-ci vous dit si vous avez dépassé le seuil et permet de gagner énormément de temps”, indique-t-il. “On peut mesurer beaucoup de paramètres comme la qualité de l’eau, mais aussi la turbidité lorsque les sédiments du fond de l’eau remontent lors d’un dragage du port”. Si le seuil est dépassé, un protocole d’alerte est lancé. “On prévient avant que ce ne soit trop tard et qu’un pic de pollution soit atteint. C’est un véritable outil d’aide à la décision. Et l’idée est que ce soit suffisamment intuitif pour que le client puisse gérer sa plateforme tout seul”, souligne-t-il. 

La société a pu constater la mauvaise image dont souffraient souvent les ports, “systématiquement montrés du doigt par le grand public lorsqu’une pollution est constatée”. “Notre outil leur permet aussi d’identifier clairement les sources de cette pollution, et donc de déterminer leur responsabilité et de soigner leur réputation”, explique-t-il.

Préservation de la faune aux alentours des parcs éoliens

Et parallèlement à cette gestion du big data, Sinay poursuit son activité de bureau d’études et de proposition d’études d’impact. “On a toujours dans nos équipes des biologistes, des experts halieutiques… Ces observateurs des pêches embarquent à bord des bateaux pour observer la capture accidentelle de mammifères marins et lister les espèces observées”, indique-t-il. Ce sont les mêmes observateurs qui sont aujourd’hui embarqués lors des projets d’éoliennes en mer, qui doivent bientôt entrer en service en France. “Les constructeurs sont aujourd’hui obligés d’évaluer l’impact sur les oiseaux ou les mammifères marins de ces plateformes offshore”. Sinay a mené cette mission avec les parcs normands de Courseulles-sur-Mer et de Fécamp, et a même pu aller plus loin grâce à ses innovations technologiques. “Nous avons déployé des bouées sur l’eau, à l’intérieur desquelles se trouvent des capteurs intelligents capables de lancer l’alerte lorsque notre IA reconnaît un dauphin ou un marsouin”, explique Thierry Ducellier. « En cas de détection, nous suivons un protocole d’alerte, le constructeur est informé en temps réel et les travaux ralentissent le temps d’un retour à une situation moins risquée pour les animaux »

Une société en croissance et des recrutements en hausse

Le contexte est porteur pour la société. Avec l’augmentation du trafic mondial et la taille toujours plus importante des navires, les ports comme les armateurs doivent s’adapter en permanence. Sans compter les problématiques environnementales, qui se font de plus en plus prégnantes, notamment concernant les constructions offshore. En prenant ce virage structurel en 2017 et en se recentrant autour de la data, Sinay a pu commencer à commercialiser son offre IA depuis environ deux ans.

“Notre croissance moyenne annuelle est d’environ 50% et notre dernier chiffre d’affaires en 2021 était de 3 millions d’euros”, informe le directeur commercial. ”.

Basée à Caen, avec des bureaux également à Brest et à Lorient, la société compte désormais 75 collaborateurs (scientifiques, data scientist, développeurs, product manager…) et connaît une croissance d’embauche d’environ 20% par an. “Depuis peu, on a étendu notre activité dans les pays nordiques, et on a racheté une technologie qui nous permet de collecter des données sur les courants, les vents et les hauteurs des vagues partout dans le monde”, indique Thierry Ducellier. L’idéal pour “faire des mesures de faisabilité et des plannings de sortie pour les chantiers offshore !”. 

La société maritime vient aussi d’annoncer la signature d'un contrat de 1,6 million d'euros avec l'Agence spatiale européenne. “Accès à de l’imagerie satellite, de suivi GPS… C’est une nouvelle couche de données qui va se rajouter dans notre hub”, se félicite le directeur.

D’autres signatures et investissements se profilent à l’horizon, sans que la société ne puisse en dire plus pour le moment. Ce nouvel apport financier pourrait l’aider à s’attaquer à de plus gros marchés, comme l’Asie et le Pacifique, et s’internationaliser encore davantage.

https://sinay.ai/en/