OCR : quand chiens et chats deviennent des sentinelles du cancer chez l’homme

Nos articles Tech

 

En France, les cancers représentent la première cause de décès chez l’homme et la deuxième chez la femme, selon Santé publique France. Parmi eux, des cancers du poumon, du sein, de la prostate, mais aussi des lymphomes, des cancers de la peau… Autant de pathologies dont peuvent aussi souffrir les chiens et les chats et auxquelles était confrontée Dominique Tierny, vétérinaire et clinicienne spécialisée en cancérologie, fondatrice d'OCR. « Les chiens et les chats, qui vivent au plus proche de l’Homme, dans le même environnement, peuvent vraiment être la sentinelle du cancer chez l’homme”, appuie Dominique Tierny.

Après s’être formée aux Etats-Unis, puis à l’Institut de référence Gustave Roussy sur ces questions, Dominique Tierny a fondé en 2000 dans le nord de la France, près de Lille, Oncovet, le premier centre de cancérologie vétérinaire spécialisé en France, traitant plus de 3 000 chiens et chats chaque année pour des cancers. Cette activité clinique spécialisée en soins des animaux de compagnie pour les pathologies cancéreuses a mis en lumière deux limites liées, d’une part au manque de traitements anticancéreux dédiés aux chiens et chats, et d’autre part aux contraintes économiques des propriétaires d’animaux de compagnie désireux pourtant de trouver des solutions face à la maladie de leur compagnon, devenu membre de la famille.

C’est donc son activité de clinicienne qui l’a naturellement conduite à se tourner vers la recherche clinique, en forgeant son concept : inclure des animaux de compagnie dans des essais cliniques afin d’accélérer le développement d’innovations thérapeutiques, pour un bénéfice commun Santés Humaine et Vétérinaire.

Une approche basée sur “One Health”

“Les animaux de compagnie développent les mêmes pathologies cancéreuses que les patients humains ; en les incluant dans des essais cliniques, on peut mieux les soigner avec des nouveaux traitements auxquels ils ne peuvent avoir accès, et par cette approche, accélérer le développement de l’innovation”, explique Dominique Tierny. Une approche dans la droite lignée de “One health”, ou “une médecine unique”, une approche qui promeut les liens entre santé humaine et animale, qui l’a amenée en 2011 à fonder OCR (Oncovet Clinical Research), Jeune Entreprise Innovante (JEI) s’adressant à la fois aux acteurs de la santé humaine et vétérinaire, en proposant une offre de service innovante d’intégration des animaux de compagnie dans des essais cliniques en parallèle aux essais cliniques chez l’homme.

Si dans un premier temps OCR a articulé son activité avec Oncovet pour réaliser des essais cliniques en cancérologie, les deux sociétés sont des entités bien distinctes.

OCR a établi récemment ses locaux au sein de l’Institut pour la Recherche sur le Cancer de Lille (IRCL). L’installation d’OCR au sein de l’IRCL est une suite logique de l’engagement d’OCR et de ses investissements dans les projets de recherche en cancérologie au sein de différents consortium académiques-privés dont le consortium OncoLille labellisé site de recherche intégrée sur le cancer (SIRIC) par l’INCa pendant 5 ans, et le laboratoire commun de recherche PRISM-OCR. Dans une dynamique quotidienne, ce rapprochement perpétue les échanges fructueux entre les différents partenaires de médecines humaine et vétérinaire, et consolide la conviction à l’origine de laquelle la société OCR est née.

Même si OCR a largement étendu ses activités à la recherche clinique pour le compte de la santé vétérinaire dans différents domaines thérapeutiques, la société reste alignée avec ses valeurs de médecine unique (« One Health »).

Un positionnement éthique fort pour la santé animale

Le positionnement éthique d’OCR est pionnier, puisqu’un comité éthique valide le bénéfice clinique attendu pour tout patient animal inclus dans un nouveau projet d’essai clinique et que les patients sont des animaux de compagnie et non des animaux expérimentaux: “Nous sommes dans le soin ; comme dans les phases cliniques des études chez le patient humain, on est dans la « vraie vie », avec toutes les hétérogénéités que cela peut comporter, en prenant en compte chaque spécificité de chaque patient. Tous les traitements, soins et suivis sont pris en charge financièrement, ce qui peut représenter plusieurs milliers d’euros ; nous recueillons le consentement éclairé des propriétaires qui peuvent à tout moment décider de sortir leur animal de compagnie de l’essai. Nous avons une excellente adhésion des propriétaires d’animaux à ces essais, qui leur permettent d’offrir à leur compagnon l’accès aux mêmes thérapies que l’homme”, explique Dominique Tierny.

En parallèle, OCR, en tant que CRO (Contract Research Organization) vétérinaire, a développé son activité auprès des biotechs et laboratoires pharmaceutiques vétérinaires pour le développement et l’obtention d’autorisation de mise sur le marché de nouveaux traitements pour les chiens et chats. OCR comptabilise près d’une vingtaine d’essais cliniques par an. Le recrutement des animaux de compagnie se fait au sein du réseau européen de cliniques vétérinaires partenaires d’OCR, qui compte plus de 100 cliniques vétérinaires spécialistes dans différents domaines thérapeutiques.

De plus, les activités d’OCR se sont également largement diversifiées au-delà des pathologies cancéreuses avec des essais qui portent sur toutes les maladies, en particulier les maladies chroniques liées à l’âge comme l’arthrose, l’insuffisance rénale, le diabète, les maladies cardiaques, neurologiques, etc.

Le nombre d’animaux participant à une étude peut varier fortement d’un projet à un autre en fonction du projet : de 10 à 80 animaux pour une étude preuve de concept (POC) ou une étude pilote, et entre 100 et 200 pour une étude pivotale à visée d’autorisation de mise sur le marché vétérinaire.

OCR compte aujourd’hui sur une équipe d’une quinzaine de personnes pour coordonner des études cliniques sur des animaux de compagnie, au sein d’un réseau européen de cliniques vétérinaires partenaires.

Effectuer des tests ex-vivo pour pouvoir personnaliser les thérapies

Depuis sa création OCR a constitué une biobanque de tumeurs canines et félines, pour valider l’homologie des pathologies cancéreuses animales et humaines.

La société OCR a collaboré dans le cadre de nombreux appels à projets de recherche nationaux et européens mais aussi avec des laboratoires publics français, comme avec le laboratoire Inserm PRISM sur le projet de nouvelle technologie moléculaire Spidermass, un instrument qui permettrait d’offrir en temps réel aux chirurgiens des informations sur la composition des tissus afin de savoir s’ils sont cancéreux, nécrosés ou sains.

Actuellement, parmi les gros projets d’OCR, figure un programme d’ampleur d’immunothérapie innovante, sur les patients canins et humains, consistant en l’injection intratumorale d’un virus oncolytique atténué (OGM) afin de provoquer une lyse des cellules tumorales. A terme, cet axe de recherche permettrait même de pouvoir personnaliser la thérapie via un test ex-vivo sur des prélèvements de la tumeur, “c’est-à-dire d’observer si la tumeur répond, avant d’administrer le virus oncolytique au patient”, développe Dominique Tierny.

“Nous avons aussi beaucoup travaillé sur les tumeurs mammaires canines dites « triples négatives » (TN), un bon modèle du cancer du sein TN de la femme, pour lequel il n’y a pas de thérapie ciblée aujourd’hui. Une banque d’organoïdes de tumeurs mammaires canines TN a été développée, en tant que test « ex vivo » dans l’objectif de prédire la réponse à certains traitements, avant d’initier un essai prédictif chez le chien”, ajoute-t-elle.

En effet en schématisant, le chien ayant une durée de vie 7 fois plus courte que celle de l’homme, la maladie évolue aussi nettement plus rapidement, ce qui permet d’obtenir des données d’efficacité très précocement dans le cycle de développement du candidat médicament, nettement plus rapidement que lors des phases cliniques humaines.

Un business model construit sur la santé humaine et la santé vétérinaire

Si aux Etats-Unis, l’acteur Elias Cancer Immunotherapy (ECI) est positionné sur le même secteur, OCR est la seule société en Europe à proposer cette innovation de service. Pour se développer, elle a pu compter sur deux levées de fonds, en 2013 auprès de Business Angels et de Nord France Amorçage, un fonds dédié à l’amorçage dans les Hauts-de-France, puis en 2016 auprès des fonds d’investissement Newfund et NFA. Pour solidifier son business model, la société a choisi depuis 2019 d’étendre davantage ses activités en santé vétérinaire, c’est-à-dire à destination des laboratoires pharmaceutiques vétérinaires. 

Désormais, en complément de l’activité de R&D en laboratoire, deux unités de recherche clinique coexistent au sein d’OCR : une pour la santé humaine, et une, plus standard, pour la santé vétérinaire. “Le Covid a marqué un arrêt dans certains de nos programmes de recherche clinique, mais nous sommes rentables en 2022, nous augmentons notre activité avec une croissance à deux chiffres et nous tablons sur une augmentation de 50% de notre CA en 2023, avec un doublement du nombre de contrats signés avec nos clients (sociétés de biotechnologie et laboratoires pharmaceutiques) ”, indique Dominique Tierny. 

A l’international, la société continue d’étendre son réseau de centres cliniques d’investigation, notamment en Pologne et au Portugal, avec des collaborateurs d’OCR sur place.

Dans un contexte fort de consolidation, OCR a pour objectif à terme de s’adosser à une société de recherche en clinique humaine ou vétérinaire de plus grande envergure internationale “afin de pouvoir faire pleinement éclore l’activité initiée dans un environnement fertilisant et structurant ”, conclut Dominique Tierny.

À lire également