Gulplug veut booster la transition écologique grâce au branchement automatique des véhicules électriques
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Il n'échappe à personne que le marché des voitures électriques connaît ces dernières années un bond sans précédent. Sous l'impulsion de la Commission européenne, qui a annoncé vouloir passer à 100% de véhicules à zéro émission dans les ventes de voitures neuves en 2035, la vente de voitures électriques a bondi de 165% au premier semestre 2021, par rapport au premier semestre 2020 - qui avait déjà connu une hausse remarquable dans un contexte global de récession. Si le marché témoigne d'un dynamisme réel, il n'est pas encore synonyme de rentabilité pour les constructeurs automobiles, qui flèchent près d'un tiers de leurs dépenses R&D vers l'électrique alors même que ce segment demeure marginal dans les ventes (moins d'un cinquième du marché des voitures neuves en 2021). Avec son système de branchement automatique, Gulplug entend aider les constructeurs de véhicules électriques à lever l'un des freins principaux à l'adoption de ce type de véhicules : son chargement. Rencontre avec Xavier Pain, co-fondateur et CTO de Gulplug.
Comment se décide-t-on à entreprendre dans un secteur aussi pointu que l'industrie automobile ? Si l'on en croit le cheminement professionnel de Xavier Pain, c'est par une suite d'expérimentations entrepreneuriales dans des domaines aussi variés que les Télécoms et l'énergie.
Tirer des leçons de ses différentes vies entrepreneuriales
Cet ingénieur de formation commence sa carrière chez Matra Communications à Paris, où il participe dès 1994 au développement du premier téléphone portable sécurisé à destination des forces de police. Ce que le futur CTO de Gulplug retient de cette aventure, c'est la découverte du métier, et la puissance créative d'un projet qui s'est soldé par un succès commercial. "300 000 terminaux se sont vendus dans le monde et ont été utilisés pendant 20 ans, je suis heureux d'avoir réussi à porter un projet utile, en France comme à l'étranger". Après un changement d'actionnariat, Xavier Pain met fin à l'aventure et quitte Paris pour rejoindre une startup implantée à Grenoble, Easyplug, en tant que responsable de développement commercial.
Issue d'une joint-venture entre Schneider Electric et Thomson Multimedia, Easyplug avait pour mission de fournir de la donnée sur les fils électriques, et notamment un service d'Internet haut débit aux fournisseurs d'énergie, pour qu'ils puissent le distribuer eux-mêmes en utilisant leurs infrastructures électriques. Malheureusement, la bulle Internet explose et les opérateurs d'énergie se recentrent sur leur cœur de métier. "Alors que mon expérience chez Matra Communications avait débouché sur un succès, tant sur le plan technique que commercial, avec Easyplug, j'ai pu expérimenter la frustration d'avoir développé un produit qui fonctionne d'un point de vue technique, mais qui ne rencontre pas le succès commercial", confie Xavier Pain. Une leçon qui s'avèrera fructueuse, quelques années plus tard.
Un premier projet inspiré d'une technologie popularisée par Apple
Il faudra attendre sept ans de plus avant que l'entrepreneur ne se relance dans une nouvelle aventure et co-fonde Gulplug. Pendant ce laps de temps, Xavier Pain rejoint Schneider Electric pour piloter des projets d'innovation dans le bâtiment, puis dans l'industrie. Il en repart avec des licences de brevets accordées par son entreprise, portant sur une technologie de prise magnétique. "Les utilisateurs d'Apple n'auront aucun mal à se figurer le principe de notre technologie, dont la valeur différentiante réside dans ce qui se passe lorsqu'ils branchent leur chargeur MagSafe à leur ordinateur", explique Xavier Pain. Expliquons pour les autres : grâce à un système magnétique, le chargeur se clipse presque "naturellement" dans l'orifice dédié, rendant la manipulation particulièrement simple et intuitive, puis se débranche sans risque de faire tomber l’ordinateur !
Un test marché conduit auprès d'un cabinet parisien permet à Xavier Pain et son associé, Eric Marsan, de confirmer l'intérêt du grand public pour une technologie de branchement simplifiée et sécurisée. "Nous avons reçu un accueil extrémement favorable, le premier débouché auquel nous avons alors pensé concernait le domaine domestique", déclare l'entrepreneur. Le pari du projet POM (l'ancêtre de Gulplug) : décliner le système de branchement magnétique popularisé par Apple avec sa prise 5 volts dans des objets du quotidien comme les aspirateurs, les sèche-cheveux ou les ampoules, avec des prises de 230 volts. Les initiales de "POM" renvoient à la Prise Magnétique - le O du milieu simulant la gaine de la prise - dans un clin d'œil évident à Apple, dont le PDG iconique Steve Jobs meurt le jour même où les associés décident de lancer leur startup. "On a interprété cette incroyable coïncidence comme le signe qu'il fallait prendre notre courage à deux mains, quitter le merveilleux groupe Schneider Electric dans lequel on était et se lancer dans cette folle aventure", confie Xavier Pain.
Les prémices de Gulplug, entre retrait d'un partenaire clé et pivot miraculeux
Trois ans s'écoulent ensuite, durant lesquels il faut négocier les accords de licences de brevets, dans le cadre du protocole d'open innovation de Schneider Electric. La startup co-fondée par Xavier Pain reçoit une aide de la part de l'entreprise, sans ouvrir pour autant son actionnariat en échange. "Mon retour d'expérience de mes précédentes aventures entrepreneuriales m'a convaincu qu'il était préférable d'être seul à bord", explique Xavier Pain, "car il est souvent dangereux d'arrimer un petit bateau à un gros paquebot". Finalement, après consultation des juristes de l'incubateur grenoblois Gate1, il est décidé d'abandonner le nom POM au profit du nom Gulplug, un palindrome qui évoque le mouvement bidirectionnel du courant électrique, avec le mot « plug » dedans, porteur de sens, sans enfermer pour autant la jeune société dans une application particulière.
En parallèle, Gulplug remporte un concours d'innovation de Bpifrance, "Crea Dev I-lab", qui lui permet de débuter avec 200 000 euros de subventions. En mars 2015, la startup recrute son premier employé et commence à développer un système de branchement électrique pour le fer à repasser sans fil "FreeMove" d'une célèbre marque. Les équipes de Gulplug passent un an à travailler sur le prototype, en testant notamment 250 consommateurs sur leur appétence pour la solution. Alors que le produit est sur le point d’emporter l’adhésion, son concurrent lance un fer à repasser qui fonctionne sur le principe de la bouilloire électrique, le tout pour un prix inférieur à celui envisagé par cette célèbre marque. Le projet est abandonné du jour au lendemain, et les équipes de Gulplug se retrouvent le bec dans l'eau. "Nous avons dû faire preuve de résilience", confesse Xavier Pain. « Nous nous sommes tournés vers une application à plus forte valeur ajoutée où il nous a été demandé bien plus qu’une ergnomie simple et sûr : un branchement automatique, sans besoin d’action manuelle ! Nous avons alors commencé à travailler avec des constructeurs automobiles pour brancher les véhicules électriques ».
L'ambition de l'entreprise : simplifier le branchement des véhicules électriques
Grâce à une étude menée avec le cabinet Ixiade, Gulplug avait fait le tour de toutes les applications possibles pour sa technologie. Celle qui séduit le plus ses cofondateurs concerne le branchement des voitures électriques. Parce qu'il a étudié largement le sujet durant ses études d'ingénieur, puis en tant que responsable de l’infrastructure de charge de véhicules électriques chez Schneider Electric France, parce qu'il a possédé une Renault Clio Electrique pendant 10 ans, Xavier Pain connaît la corvée que représente le fait de devoir brancher sa voiture tous les soirs pour la recharger. Le branchement électrique cristallise d'après lui le principal point de douleur de ce type de voitures : "Tout le monde peut y arriver, mais le fait est qu'on a souvent les mains chargées lorsque l'on sort de sa voiture et qu’on est toujours pressé d’aller faire autre chose, ce qui rend compliqué le fait de devoir ouvrir une trappe et chercher un câble, surtout si on est dehors sous la pluie. Et puis, cette action n’apporte absolument rien dans la vie de l’utilisateur. C’est même une régression fonctionnelle dans l’usage d’une voiture". A cet obstacle s'ajoutent les aspects anxiogènes et sécuritaires liés à la circulation d'électricité à fort ampérage.
Pour pallier ce point de douleur, des constructeurs comme Tesla travaillent sur l'autonomie des batteries, dans le but de convaincre les utilisateurs de ne pas se brancher tous les jours. Pour Xavier Pain, cela ne fait que déplacer le problème : "Le jour où des millions de voitures se brancheront en même temps, cela créera une problématique d'engorgement". Pour parer à ce risque, l'entrepreneur estime qu'il vaudrait mieux adapter la consommation d'électricité à notre capacité à la produire - capacité qui est d'autant plus variable qu'elle sera de plus en plus issue d'énergies renouvelables. Pour cela, il faut selon lui éviter de provoquer des pics de consommation à certains moments de la journée. "Ce que les gens ne réalisent pas, c'est qu'une voiture de particulier passe 95% de son temps stationnée - que ce soit au domicile ou au travail de son propriétaire », rapporte Xavier Pain. Pourquoi alors ne pas profiter de ces moments pour charger la voiture, ou au contraire la décharger lorsqu'on a besoin d'électricité ? Une condition nécessaire est qu’elle soit bien branchée !
Une solution qui répond aux défis écologiques de notre époque
Outre l'argument écologique, qui pousse à privilégier un chargement pendant les creux de consommation du réseau électrique, le CTO de Gulplug souligne le risque pour la longévité des batteries, qu'on endommage en les chargeant le plus rapidement possible. "Aujourd'hui on essaie de nous convaincre que dans le futur, on chargera sa voiture comme on fait aujourd'hui le plein d'essence", déplore Xavier Pain. "Ce marketing de l'urgence est tout bonnement contraire aux principes de l’électrochimie : il vaut mieux avoir une petite batterie qu'on charge souvent et doucement plutôt qu'une énorme batterie qu’on vide puis qu'on charge très vite".
Concrètement, Gulplug propose trois modules regroupés sous la marque SELFPLUG® : une Ground Unit, au sol, qui fait 50 centimètres de diamètre ; la prise ou "Vehicule Inlet", qui prend la forme d'un palet de hockey sur glace aimanté et descend de la "Vehicule Unit", la partie intégrée au véhicule, pour venir se brancher sur la Ground Unit. Le cœur de la technologie Gulplug réside dans le magnétisme et l’électromagnétisme pour guider, centrer et connecté la "Vehicule Inlet" sur la Ground Unit. La technologie est protégée par une dizaine de brevets. L'intérêt du système est qu'il est totalement automatique. C'est une véritable révolution, qui propose une solution concrète aux points de douleur précédemment évoqués par Xavier Pain et qui permet d’entrevoir sereinement le déploiement massif des voitures électriques et d’assurer que le voitures hybrides rechargeables seront bien branchées et chargées au quotidien pour tenir leur promesse environnementale.
Quels sont les enjeux déjà relevés et ceux qui restent ?
Les premiers enjeux étaient techniques et "ils sont tous relevés" estime Xavier Pain.
Tout d'abord, la puissance électrique : l’exigence des constructeurs automobiles est de pouvoir offrir des puissances de 3 kW en courant alternatif monophasé à 22 kW en courant alternatif triphasé. Comme l'explique le CTO de Gulplug, "La SELFPLUG peut fournir jusqu’à 43 kW en courant alternatif triphasé et 100 kW en courant continu". La tenue des conditions environnementales ensuite : "la SELFPLUG est la seule solution totalement étanche de bout en bout, avant toute connexion, pendant la connexion, et une fois connectée", explique Xavier Pain. Enfin, l’intégration à bord des véhicules électriques : la SELFPLUG peut s’embarquer à bord de voitures électriques existantes telle la Renault Zoé, ou de voitures hybrides rechargeables existantes telle la Renault Mégane Estate, elle pourra donc être embarquée à bord de n’importe quelle future plateforme automobile.
La prochaine étape est d'industrialiser la SELFPLUG pour tenir les exigences économiques posées par les constructeurs automobiles et à standardiser cette nouvelle interface de connexion (Automatic Connection Device Underbody).
Et au niveau des marchés ?
Sur le plan du « go-to-market », Gulplug a choisi de concentrer ses efforts sur deux marchés principaux : les navettes autonomes pour le transport de personnes ou de marchandises sur le "dernier kilomètre", et les flottes de véhicules, où plusieurs conducteurs sont amenés à se relayer sur un même véhicule. Par exemple, en avril dernier, Navya a inauguré la première navette autonome équipée de la technologie de Gulplug, qui la rend capable de se brancher et débrancher sans intervention humaine. "Nous traitons également avec des constructeurs automobiles et des équipementiers de rang 1 en parallèle, mais cela prend plus de temps", explique Xavier Pain, qui estime que la SELFPLUG® sera intégrée dans certains modèles neufs de véhicules électriques dès 2024-2025.
Encore faut-il "dépasser la vallée de la mort" et les péripéties industrielles qui menacent toute startup avec des besoins de financement importants et un time-to-market finalement lointain. Dans cette perspective, Xavier Pain pointe le rôle déterminant de Neftys : "Sans le préfinancement du CIR, on n'y serait pas arrivé cette année". La prochaine étape ? Faire appel à du capital innovation, une fois la traction marché avérée. Face à une telle démonstration, on peut se demander comment cela ne serait pas.
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