Ellcie Healthy, les lunettes intelligentes comme objet de santé
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Des personnes âgées qui souhaitent rester à domicile, et des proches qui s’inquiètent du risque encouru. Chacun de nous a connu cette situation, renforcée qui plus est par la crise sanitaire. Justement la startup Ellcie Healthy se mobilise pour apporter des solutions concrètes pour protéger les plus vulnérables comme tout un chacun. Prévenir une chute, détecter les signes précurseurs d’un endormissement ou même d’une maladie, c’est ce que propose la startup azuréenne grâce à des lunettes connectées et intelligentes.
Rencontre avec Céline Corvisier, Directrice des opérations chez Ellcie Healthy, qui nous en dit plus.
C’est lors d’un voyage d’affaire au sein de la Silicon Valley, que Philippe Peyrard, alors Directeur Général Délégué du réseau d’opticiens Atol, s’étonne que la filière de la lunetterie n’ait pas encore été digitalisée. Quelques mois plus tard, il quitte la direction du groupe Atol et fonde la startup Ellcie Healthy en 2016. Loin des lunettes gadgets, l’ambition de départ est de créer des lunettes connectées et intelligentes qui prennent soin de la santé des individus. Le parti pris est clair : proposer une monture de lunettes connectée qui puisse couvrir un grand nombre de cas d’usages.
5 ans plus tard et une levée de fond bouclée, la jeune pousse azuréenne commercialise son premier produit : Serenity. Une paire de lunettes équipée d’une quinzaine de capteurs. Un bijou technologique à l’apparence et au poids de lunettes classiques. Le résultat de « plusieurs années de travail et d’investissement de plusieurs millions d’euros » nous confie Céline Corvisier.
Une solution pour plusieurs cas d’usages
Ce premier produit lui permet d’adresser un premier cas d’usage à destination des automobilistes : l’aide à la prévention de l’endormissement au volant. « L’idée est que les lunettes par le biais des capteurs infrarouges de proximité et de la centrale inertielle détectent en temps réel les signes précurseurs d’un endormissement et préviennent le porteur, les passagers et éventuellement un télé-assisteur » explique Céline Corvisier.
Depuis, un deuxième cas d’usage a été développé : la détection de la chute, aujourd’hui commercialisé par Optic 2000, sous le nom Prudencee SOS Chute. La startup travaille sur un 3e cas d’usage, cette fois-ci « la prévention de la chute » qui devrait être mis sur le marché cette année. L’enjeu est de « capter des marqueurs d’une instabilité ou d’une démarche » afin de prévenir le porteur et d’éviter la chute, notamment auprès des personnes vulnérables.
Mais comment prévenir le porteur au bon moment ? La monture est équipée d’une quinzaine de capteurs (accéléromètre, gyroscope, capteur de température, de pression atmosphérique, etc.), qui permettent la collecte de données. Les algorithmes analysent ces données physiques et physiologiques(la fréquence et la durée de clignement des yeux, l’orientation du regard, l’inclinaison de la tête…) et définissent un indice de risque de 1 à 5. Au-delà de 4, la monture émet des flashs et des bips pour avertir le porteur.
Un défi technique et scientifique
Pour maximiser ses performances d’utilisation, l’objet doit répondre à plusieurs défis comme l’autonomie (24h en utilisation continue), la puissance, ou encore le poids (26 grammes). Pour cela, les équipes de R&D ont relevé un véritable défi technique et scientifique pour augmenter cet objet du quotidien, porté par 75% de la population. « La puissance de calcul demandée par les algorithmes et les capteurs ne cessent de croître, le besoin énergétique augmente également et la nécessité de miniaturiser tous les composants hardware comme les batteries, capteurs est un véritable challenge. Nous nous sommes livrés à de nombreux tests cliniques pour valider chaque aspect de la solution : efficacité de diagnostic, innocuité des ondes électromagnétiques générées par les lunettes », explique la COO.
La start-up a fait le choix de ne pas intégrer ni caméra, ni micro dans sa monture, afin que le porteur ne se sente pas surveillé, comme cela peut être le cas dans les caméras de surveillance de certaines voitures haut de gamme. Les capteurs intégrés dans les branches permettent de récolter des données physiques, physiologiques et environnementales. L’algorithme d’intelligence artificielle va pouvoir les traiter, les analyser et les sauvegarder. Ces « jeux de données » collectés depuis des mois, lui permettent d’affiner l’algorithme et de développer de nouveaux cas d’usages.
Ouvrir son système pour sauver plus de vies
Mais l’ambition d’Ellcie Healthy va plus loin, « ouvrir sa plateforme de données pour que d’autres développeurs puissent développer leurs propres applications ». C’est le cas par exemple de l’Hôpital de Dresden en Allemagne, qui travaille sur l’évolution de la maladie de Parkinson et le suivi des patients, ou encore l'hôpital D’Etampes spécialisé dans les maladies psychatriques. Ellcie Healthy, met à disposition les lunettes, les capteurs et sa plateforme de données, afin que les intéressés s’emparent de la technologie, développent leurs propres algorithmes, et créent de nouveaux « dataset ». « On a décidé de passer à la vitesse supérieure en ouvrant notre système, de sorte que d’autres puissent accélérer et sauver des vies avec d’autres applications » résume la COO. L’ambition est de compléter le panel des applications développées, pour que les lunettes puissent couvrir un maximum de cas d’usage et secourir un maximum de personnes.
Une solution, 2 défis à relever
De nombreux chercheurs et médecins se sont penchés sur l’idée de créer un produit pour accompagner le patient dans son quotidien, afin d’améliorer sa rééducation, de l’encourager à adopter une activité physique régulière, ou encore d’assister les personnes en perte d’autonomie. Nous connaissons par exemple les bracelets ou les semelles connectées. Ces objets se trouvent confrontés à deux problèmes majeurs : l’adoption de l’objet par le patient et la fiabilité pour « prévenir seulement quand il faut ». ’Ellcie Healthy se démarque de la concurrence sur ces deux principaux aspects.
Pour répondre au premier défi, l’adoption, elle a choisi un objet du quotidien au design incognito pour que le patient puisse le porter fréquemment. Pour répondre au second défi, la fiabilité, le machine learning et la position de l’objet entrent en jeu. Comme le souligne Céline Corvisier, l’intelligence artificielle embarquée dans la monture de lunettes apprend la manière dont on cligne des yeux, dont on se déplace, et va même définir des signatures de mouvements propres à chaque individu pour produire avec finesse un diagnostic fiable. Par ricochet, plus le patient porte les lunettes, plus l’intelligence artificielle apprend, et détecte efficacement. Le positionnement sur la tête permet également d’affiner le diagnostic et d’obtenir un taux de fausses alertes (faux positifs) très limitées, en dessous de 5%, contre des niveaux de l’ordre de 80% sur la majorité des solutions traditionnelles de détection de chute.
La solution innovante d’Ellcie Healthy a d’ailleurs été reconnue avec l’octroi de plusieurs distinctions comme le Prix Innovation et sécurité routière, le prix CES Awards Innovation 2019, ou encore le prix trophées de l’embarqué 2019.
La R&D comme ADN
Pour relever ce défi technologique, la startup niçoise mène des collaborations avec 12 laboratoires de recherche comme le CNRS, l’INRIA, l’Université Nice Côte d'Azur ou encore le LEAT. « La recherche est une partie intégrante de l’ADN de Ellcie Healthy », précise Céline Corvisier. Pourtant, intégrer la recherche au sein d’une société en pleine accélération qui a besoin d’aller vite n’est pas chose aisée. Les temps de recherche ne sont pas les temps de développement. Consciente de ce constat, Céline Corvisier nous explique que « la société s’est structurée en isolant un département recherche qui va travailler sur un temps long, et un département technique qui va travailler sur un temps court. Cette organisation permet à l’équipe recherche de travailler sur des sujets exploratoires qui viennent nourrir la roadmap technique de demain ».
Les sujets exploratoires sont développés en interne par l’équipe du Dr Caquineau, Directeur de la Recherche chez Ellcie Healthy, mais aussi en collaboration avec des laboratoires de la région PACA. C’est le cas du projet mené avec le LEAT[1], sur la suppléance sensorielle pour les personnes aveugles et malvoyantes. Retranscrire par le toucher la perception des lunettes, voilà un défi d’avenir. La recherche est incarnée jusqu’au board de la startup, avec la Dr Brémond-Gignac, Directrice Médicale d’Ellcie Healthy, membre du CNRS, et Chef de département d'ophtalmologie de l’hôpital Necker de Paris. Résultat de cette fructueuse collaboration, plus de 15 brevets technologiques déposés à ce jour
Pour financer son ambition, la startup a bénéficié du soutien de ses actionnaires historiques parmi lesquels SYGMA, ou Région Sud Investissements mais également de partenaires de la première heure tels que BPI France. La startup reçoit également le soutien de Neftys pour “financer ses projets de recherche et préparer l’activité et le chiffre d'affaires de demain”.
Le marché de la santé comme opportunité internationale
Sur le plan du marché, la société a également un plan bien défini : privilégier un modèle BtoB et s’appuyer sur des distributeurs « mais aussi des faiseurs qui verraient dans la solution l’opportunité de développer des marchés encore non couverts » nous explique Céline Corvisier. Justement le marché est colossal, « pour illustration, le coût de santé lié aux chutes en Europe correspond à 45 milliards d’€/an », une vraie opportunité pour la jeune pousse qui pense pouvoir réduire de 10% les couts des personnes équipées, offrant ainsi un RoI immédiat aux assurances ou instances gouvernementales. L’ambition est de conquérir l’international, avec des produits 100% fabriqués en France.
Pour servir cette ambition, la startup a intégré fin 2020 un programme d’accélération américain spécialisé dans le domaine de la santé « Upward Lab » à Hartford dans le Connecticut et mis en place des pilotes sur le sol américain. Ellcie Healthy compte déjà parmi ces clients des sociétés comme VSP, complémentaire de santé visuelle, ou encore le groupe Johnson & Johnson.
Le produit a également été décliné pour pouvoir être distribué en Asie : des modifications ont été apportées au design de la lunette, afin de «s’adapter à la morphologie du nez japonais » et de garantir fiabilité et adoption.
La startup travaille actuellement sur sa prochaine génération de monture qui permettra entre autres la captation de la température et du rythme cardiaque et organise une levée de fonds en 2021 afin d’accélérer son déploiement international et la finalisation de cette nouvelle génération de lunettes anges gardien.
[1] Laboratoire d’Electronique, Antennes et Télécommunications de l’Université Nice Sophia Antipolis
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