Eden Tech : imiter la nature pour mieux filtrer les polluants
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Eden Tech révolutionne les techniques de microfluidique, la science de la manipulation des liquides de taille micrométrique. Après s’être lancée dans la commercialisation de Flexdym, un nouveau polymer facilitant la production de dispositifs microfluidiques, la start-up a travaillé sur des projets MedTech avant de mettre au point des filtres à même de débarrasser l’eau des microplastiques ou d’autres polluants en utilisant cent fois moins d’énergie que les techniques de filtrage traditionnelles.
La microfluidique est peu connue du grand public. Pourtant, cette science de la manipulation des gouttes à très petite échelle détient assez de potentiel pour enclencher une nouvelle révolution industrielle, soutient Emmanuel Roy. Diplômé d’un doctorat en nano-microfluidique de l'Université Gustave Eiffel, le chercheur a cofondé Eden Tech en 2017 au côté de la Dre Cécile Perrault et neuf autres collaborateurs afin de concrétiser cette vision.
Que ce soit l’architecture de nos poumons, la façon dont notre sang circule dans nos vaisseaux sanguins les plus fins, la structure de la feuille d’un arbre où s’écoule de la sève… Dans la nature, la “microfluidique” est partout et présente des performances exceptionnelles de traitement des fluides : plus compact, à faible énergie et à haut rendement.
“Quand vous miniaturisez quelque chose, cela change tout au niveau de la circulation des fluides. Vos globules rouges sont oxygénés car vos capillaires font une dizaine de microns. S’ils faisaient un millimètre, cela prendrait des jours ! En bref, quand je réduis la taille, j’augmente l’efficacité”, résume le Dr Roy.
Un poumon artificiel en élaboration
Avec quinze ans d’expérience dans la microfluidique derrière lui, le chercheur devenu entrepreneur fait partie des pionniers de cette science relativement jeune. “Les premières applications se limitaient au domaine de la santé et du diagnostic moléculaire. Dans l’équipe, lors de nos carrières de chercheurs, certains d’entre nous ont par exemple participé à l’élaboration de micro-systèmes fluidiques pour l’étude de cellules ou d’organes sur puces” (des systèmes miniaturisés conçus à partir de l'architecture d'un organe humain, NDLR), raconte le scientifique.
Ils sont ainsi parmi les premiers à avoir travaillé sur l’élaboration de poumons artificiels. Cette première expérience est toujours en cours, au sein du volet Medtech de l’entreprise. “Nous gardons une collaboration étroite avec l’hôpital Saint Joseph de Paris sur ce sujet”, précise le cofondateur.
Grand Prix i-Lab pour ses prouesses technologiques
Le poumon humain, avec sa capacité à oxygéner 5 litres de sang par minute sans qu’il y ait besoin d’une forte pression, est leur première inspiration à partir de laquelle ils ont commencé à “envisager des solutions à plus grande échelle”, indique Emmanuel Roy.
De quelques microlitres à la minute, les équipes sont passées à quelques litres/minutes puis ont “poussé chaque fois plus loin la capacité à augmenter le volume en mettant plus de systèmes en parallèle et en faisant de l’intégration 2D ou 3D”, explique le docteur. Son grand point fort, qui lui a permis de prendre le lead sur ce marché ? “Ma capacité à développer des matériaux permettant de prototyper très rapidement : quand d’autres peuvent faire une puce toutes les trois heures, j’élabore des choses en 30 secondes”, avance-t-il. Pour ces prouesses, Eden Tech a été décorée du grand prix i-Lab en 2019 pour sa technologie AKVO capable de traiter les micropolluants dans l'eau.
Akvo, pour débarrasser l’eau des résidus d’antibiotiques
Avec cette capacité à traiter de grands volumes, la start-up a pu pivoter de la Medtech à la Cleantech, où la microfluidique promet de résoudre des problématiques d’avenir. “Aujourd’hui, le traitement des eaux utilise des technologies hyper-énergivores, représentant 2 à 3% des dépenses énergétiques mondiales. A l’inverse, nos systèmes biomimétiques sont très économes en énergie”, souligne le chercheur.
Eden Tech a ainsi conçu AKVO, un système compact de traitement de l'eau à faible consommation d'énergie ciblant les micropolluants, les bactéries et les virus. Concrètement, il s’agit d’une pile de disques (CD) gravés de réseaux de microcanaux. Chacune de ces piles peut traiter 200 mètres cube d’eau par jour (soit un conteneur maritime par jour) et peut facilement être déployée dans diverses industries.
Pour concevoir AKVO, encore en R&D au sein de la start-up, il a fallu relever plusieurs défis. “Le premier était d’intégrer dans ces circuits fluidiques des éléments qui puissent éliminer ces polluants, indique Emmanuel Roy. Le second était de faire beaucoup de simulations pour optimiser le couple réaction physico-chimique de dégradation des polluants & circulation des fluides”.
Le système a déjà fait ses premières preuves sur les colorants et les antibiotiques. Une avancée prometteuse, lorsque l’on sait que la résistance aux antibiotiques constitue l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, selon l’OMS, et pourrait causer 10 millions de morts par an d’ici 2050. “Les antibiotiques sont peu ou mal traités dans les stations d’épuration aujourd’hui et ils pénètrent le milieu naturel, ce qui donne l’occasion à l’environnement de développer des gènes résistants aux antibiotiques”, rappelle le scientifique.
Ascandra, pour mieux filtrer les microplastiques
Eden Tech est encore passée à l’étape supérieure avec Ascandra. Cette nouvelle technologie, qui a nécessité deux ans de recherche & développement, s’attaque au traitement à grande échelle des microplastiques dans l’eau, alors que l’on estime que plus de dix millions de tonnes de plastique finissent dans les océans chaque année et se dispersent en milliards de microdébris ingérés par la faune marine. “Les données actuelles portent sur des fragments jusqu’à 0,3 millimètres, mais il y en a de plus petite taille. Nous, nous allons descendre jusqu’à ceux de 10 microns”, note Emmanuel Roy.
Pour ce faire, la start-up a investi dans une miniaturisation du processeur fluidique. “On en met plusieurs sur un CD pour traiter de grandes quantités de fluides”, explique le cofondateur. Déjà testée avec succès en laboratoire et sur le terrain au bassin de l'Arsenal à Paris, Ascandra est “plus de cent fois moins énergivore” que les technologies actuelles. “Aujourd’hui, les technologies utilisées n’ont pas été désignées pour ça. C’est comme si vous vouliez faire des crêpes avec une cocotte-minute ! On peut faire une crêpe mais au bout d’un moment il vaut mieux investir dans une crêpière”, compare-t-il. Le système d’Eden Tech présente aussi l’avantage d’être peu cher, “environ 1 à 10 centimes d’euros le mètre cube” d’eau traitée.
Ascandra est en passe d’être commercialisée. Un premier partenariat a été conclu avec Boaxt, société spécialisée dans les événements nautiques. Trois navires seront équipés cet été. “Un navire permet de couvrir 1 à 3 km carré et nous allons mettre 600 à 700 CD dessus, pouvant traiter un mètre cube par seconde”, indique Emmanuel Roy.
Ce premier partenariat avec Boaxt a surtout vocation de “showroom”, de “démonstrateur sur place”, en l'occurrence sur la Côte d’azur, au Qatar et au Japon, avant de passer à la vitesse supérieure. “Notre priorité, ce sont les stations d’épuration et les industries les plus polluantes, comme les cosmétiques, le textile et la food & pharma. L’idée est de s’adresser à ces entreprises pour leur proposer des filtres avant effluent”, explique l’entrepreneur. En zone côtière, leur technologie ferait sens dans les ports, les espaces d’aquaculture et les lieux touristiques, là où des vortex de microplastiques peuvent s’amasser. “On met en place un partenariat avec une entreprise hollandaise qui fait des robots et des pontons pour la dépollution”, annonce le dirigeant. L’objectif est ainsi de collaborer avec des partenaires déjà présents sur ces secteurs en milieu fluvial ou maritime.
Un projet d’hydrogène vert soutenu par l’UE
Enfin, Eden Tech est également engagé dans l’hydrogène vert. Pilier central de la transformation énergétique, nécessaire pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés, l'hydrogène offre de grandes opportunités pour le stockage de l'énergie. A condition que sa production soit “verte”, car il est actuellement presque entièrement fourni à partir de combustibles fossiles. La piste explorée par Eden tech est celle d’un procédé appelé électrolyse de l'eau. Dans ce processus, l'énergie est utilisée par un électrolyseur pour séparer l'eau en hydrogène et en oxygène. Le potentiel de l’électrolyse de l’eau est important, mais les électrolyseurs actuels présentent des limites qu’Eden Tech espère repousser grâce à une approche inédite. D’abord, la start-up veut supprimer le “diaphragme” de l’électrolyseur, une membrane souvent constituée de matériaux difficiles à trouver. Ensuite, sa méthode permet des densités de courant plus élevées en s'appuyant sur des concepts de microfluidique et de biomimétisme.
“Nous exploitons le même principe que pour le poumon artificiel ou le filtre à micropolluant : il s’agit d’une miniaturisation pour accélérer les réactions physico-chimiques. En bref, en miniaturisant la cellule, tout le courant électrique injecté va réellement produire de l’hydrogène, sans perte. Donc on peut travailler à haute densité de courant par rapport aux électrolyseurs actuels”, résume le scientifique.
En mars 2022, leur projet a été retenu parmi neuf projets financés par l’UE dans l’hydrogène vert. “On mène un consortium doté de 3,6 millions avec des collaborateurs allemands, néerlandais, espagnols et polonais pour faire de l’hydrogène basé sur cette technologie microfluidique et biomimétique”, indique le CEO. “On est au début de cette aventure ! On voudrait travailler sur des premiers systèmes appliqués sur l’eau de mer avec des navires avançant à l’hydrogène”
Avec une quinzaine de prix décernés au niveau de l’Union européenne, dont le plus récent à Bruxelles le 9 Mars, au BlueInvest Day, Eden Tech a remporté 2 prix : celui de la catégorie "Economie circulaire et prévention de la pollution de l'océan" et celui du "Choix du public". Eden Tech a collecté environ 15 millions d’euros de financement et a enregistré en 2022 un premier chiffre d’affaires de 300.000 euros. Pour l’année à venir, l’entreprise prévoit la vente de ses premières solutions Ascandra, avec 3 à 4 millions d’euros générés à la clef. Une levée de fonds de 7 à 8 millions d’euros auprès de fonds privés français et singapouriens est également en cours. Les prochaines étapes consisteront à déployer davantage ses technologies. Pour cela, la start-up “a la chance d’être entourée des meilleurs experts académiques”, s’enthousiasme Emmanuel Roy. La révolution microfluidique est en marche.
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