E-Stella, l’application qui révolutionne les greffes du foie

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Malgré les progrès des techniques de transplantation du foie, le nombre de greffons disponible reste insuffisant et des patients malades restent parfois de longues années en attente de transplantation. La start-up montpelliéraine Stella Surgical s’attaque à ce problème avec sa solution E-Stella, la première application capable d’évaluer la qualité d’un foie à partir d’une simple photo. 

En cas de maladie grave du foie, la transplantation hépatique est la solution de la dernière chance. Ces malades patientent parfois des années pour recevoir une greffe, dans certains cas en vain. En France, la demande d'organes dépasse de loin l'offre avec un greffon hépatique disponible pour 2,3 receveurs. Pourquoi cet écart ? Notamment car il est très délicat d’évaluer la qualité d’un foie. “Aujourd’hui, l’agence de la biomédecine s’appuie sur les données histologiques et biologiques pour faire correspondre un donneur d’organe à un receveur. Puis le chirurgien vient voir l’organe en question pour décider s’il le prélève. Et il doit alors l’évaluer visuellement, ce qui est très compliqué. C’est là que l’on intervient”, explique Clément Labiche, CEO et cofondateur de Stella Surgical. 

En effet, la donnée la plus importante dans le cadre d’une transplantation hépatique est la stéatose, une maladie caractérisée par un excès de graisse dans le foie. Lorsque le taux de stéatose est inférieur à 20%, le foie est transplantable. Lorsqu’il est supérieur à 60%, le foie ne l’est pas. “Mais lorsqu’on se trouve dans cette fourchette entre les deux, même un chirurgien expert en la matière aura du mal à évaluer la qualité du greffon”, souligne Clément Labiche. Des milliers de foie potentiellement transplantables sont ainsi jetés chaque année. “Or il y en a 23% que l’on aurait pu greffer”, regrette-t-il. 

Une application protégée par un brevet

La solution innovante E-Stella s’attaque à cette problématique. L’application fait appel au traitement d’image et à l’intelligence artificielle pour évaluer la qualité des greffons. “Nous proposons au chirurgien de prendre une photo du foie du donneur potentiel avec son smartphone, via notre appli, puis de recevoir quasi-instantanément un retour sur le taux de stéatose”, indique Clément Labiche. “Cela permet de prendre une décision plus rapide, facile, et fiable. De plus, on garde leurs usages, car généralement, les chirurgiens prenaient l’organe en photo pour demander l’avis de leurs confrères”.

Désormais protégée par un brevet validé en Europe et aux Etats-Unis, E-Stella est la première solution développée par la start-up Stella Surgical. Clément Labiche a créé la société en juin 2019 avec sa cofondatrice, Manuella Cesaretti. “Pour moi, c’était une évidence de m’engager dans le milieu de la santé”, revendique l’entrepreneur, issu d’un parcours d’ingénieur et d’un double diplôme en ingénierie financière suivi à Paris. “Il y a trente ans, mon père a été malade et a eu un cancer du rein. J’avais alors un an, et il n’a pas eu la chance de recevoir un rein. C’est pour cela que je suis là aujourd’hui, pour défendre la cause des personnes sur liste d’attente”, soutient-il.

Sept ans de recherche et développement

Le Montpelliérain a rencontré Manuella Cesaretti, chirurgienne spécialisée en hépatique, lors d’un congrès de l’association française de chirurgie à Paris en 2018. “Elle m’a parlé de ses travaux de recherches en tant que chirurgienne mais aussi en tant que jeune docteure, car elle a également un doctorat en bioingénierie de la santé”, raconte Clément Labiche. “À l’époque, j’étais déjà entrepreneur dans le médical, avec la start-up Smices". Grâce à sa “double casquette d’ingénieur et de financier”, l’entrepreneur s’est vite rendu compte de “l’énorme marché” que représentait la transplantation d’organes. C’est à partir de cette idée que le duo a créé Stella Surgical. “Il y a trois ans, nous étions deux. Aujourd’hui, nous sommes déjà 16”, se réjouit le cofondateur de la start-up, qui a gardé ses bases à Montpellier. “Et Manuella Cesaretti est officiellement notre directrice scientifique depuis cet été, même si elle garde encore un pied dans les hôpitaux, car nous continuons à mener des travaux de recherche”.

Concernant la solution E-Stella, sept années de recherche & développement ont été nécessaires, menées par les développeurs informatiques et les data analyst de la société, main dans la main avec des laboratoires de recherche publics français. “Comme n’importe quelle IA, nous l’avons entraînée sur une importante base de données” de centaines d’images de foies, précise Clément Labiche. 

Dispositif médical de classe IIb, E-Stella doit prouver qu’elle respecte des normes drastiques avant d’être mise sur le marché. “Il faut passer d’importantes évaluations cliniques, donner des preuves de performance de sa technologie qui soient robustes et stables”, indique le CEO. La start-up, qui vise une commercialisation en 2023, peut déjà se prévaloir d’avoir fait entrer sa solution “en phase d’études cliniques dans une trentaine d’hôpitaux en Europe”. “Nous avons également un important partenariat avec l’AP-HP, qui représente un tiers des transplantations hépatiques françaises. Les résultats sont très bons. C’est très encourageant”, s’enthousiasme le CEO, se félicitant que cette “technologie de rupture” soit désormais présentée dans la plupart des congrès de la greffe hépatique, après avoir reçu les deux grands prix mondiaux de la greffe hépatique lors du congrès international ILTS à Toronto (Canada) en 2019.

E-Graft, plateforme de supervision dans la transplantation d’organes

En trois ans d’existence, Stella Surgical n’a pas perdu de temps et a également développé une deuxième solution : E-Graft. Il s’agit de la première plateforme dédiée à la supervision et à la coordination opérationnelle dans la transplantation d’organes. Cet outil, qui a nécessité quatre ans de R&D, s’adresse à la fois aux hospitaliers, aux transporteurs et aux agences nationales de supervision. 

Concrètement, il s’agit d’un capteur reliant, d’un côté, la boîte où a été stocké l’organe à greffer, et de l’autre la plateforme E-Graft. Le capteur est capable de transmettre des données en temps réel concernant l’organe : température, localisation, chocs… Des informations cruciales et aujourd’hui manquantes lors d’un transfert d’organe. “Il faut savoir que lorsqu’une personne décède, on va prélever jusqu’à six ou sept organes. Un hôpital va prendre le foie, un autre les poumons… Dans cette situation, de nombreux acteurs sont concentrés sur les données du donneur pour faire en sorte que ses organes puissent être greffés dans les temps, dans des hôpitaux situés partout en France. C’est d’une complexité énorme dans l’organisation et la supervision des organes !”, expose Clément Labiche. Car une fois le donneur maintenu en état de mort cérébrale, branché sur une machine, le temps est compté pour la transplantation. La durée d’ischémie froide (période de conservation à 4°C) varie selon l’organe : moins de 4 heures pour le cœur ou les poumons, jusqu’à 20 heures pour une greffe de rein. “Parfois des organes n’arrivent pas au bon moment, donc ils sont rejetés”, signale le jeune patron.

Actuellement, quand un organe est explanté, il est placé “dans une poche de liquide que l’on met dans une boîte, comme une glacière”. Mais, “alors que n’importe qui peut suivre son colis acheté en ligne ce n’est pas le cas pour les organes, qui sont envoyés seuls et sans suivi GPS ou de température !”, s’étonne Clément Labiche. Sa start-up répond à cette problématique avec sa technologie, soutenue par de l’intelligence artificielle, capable à la fois de suivre les paramètres physiologiques de l’organe et de calculer le meilleur trajet pour son transport. “ Réduire la durée d'ischémie froide de l'organe, c'est augmenter sa durée de vie pour le patient ”, souligne-t-il. E-Graft va même être en mesure de proposer une heure d’arrivée estimée de l’organe, dès le début du prélèvement. “C’est génial pour les équipes car ça leur permet de préparer la venue du patient receveur. C’est aussi un vrai soutien psychologique pour le patient, qui peut suivre en temps réel le trajet de l’organe”. 

E-Graft a été développé en interne, avec des collaborations avec les hôpitaux. Dispositif médical de Classe I, l’outil a pu être commercialisé dès 2022. “Le marché est colossal. On a conclu des partenariats en Espagne, en Allemagne et dans plus de dix hôpitaux français. On a aussi des partenaires dans le transport aérien (hélicoptères et jets privés) et l’Etat nous a apporté un budget d’un peu plus d’un million d’euros”, précise Clément Labiche. Il faut dire que cette technologie tombe à pic, au moment où le gouvernement a présenté son quatrième “plan greffe” pour la période 2022-2026, dont un des objectifs est justement de réduire la durée d’ischémie froide.

Une troisième solution déjà en développement

La troisième solution développée par Stella Surgical est déjà dans les cartons. “Elle va arriver dans les mois à venir, avec une R&D financée en partie par le gouvernement”, confie Clément Labiche, en glissant qu’il s’agira d’une “vraie innovation de rupture qui va s’implémenter sur le marché de la transplantation d’organes”. “On va pouvoir la monétiser progressivement, en la vendant d’abord sous la forme de formations à des praticiens, puis elle va devenir un dispositif médical de classe IIa capable de réaliser du diagnostic d’organes en temps réel”, se réjouit-il. 

Jeune pousse française, Stella Surgical peut compter sur de solides bases financières. Un mois après sa création, la société avait levé 350.000 euros auprès d’un investisseur privé. “Deux mois après, on avait dépassé le million d’euros levé grâce à des aides des régions, de l’Etat, de BPI France. Au total, depuis 2019, on a pu lever environ deux millions d’euros, indique-t-il. “On a été lauréat du très réputé concours d’innovation i-Lab qui nous a permis de recevoir 500.000 euros de subventions et d’être invité au cabinet du Premier ministre”, ajoute-t-il.

Pour son premier chiffre d’affaires déclaré en 2021, Stella Surgical a déclaré plus de 250.000 euros. Pour 2023, la jeune pousse espère dépasser le million d’euros. E-Stella, qui doit être commercialisé cette année-là, sera proposé sous forme de licence annuelle auprès des hôpitaux, au prorata du nombre de greffes qu’ils réalisent. “Notre prochain objectif est aussi de structurer la stratégie commerciale et de recruter sur le plan commercial et marketing pour développer E-Graft”, ambitionne le CEO.

Le plan d’action de la société est de faire en sorte que ses technologies médicales soient prises en charge par la Sécurité sociale. Déjà, “l’Etat est en train d’entrer au capital de la société (part minoritaire), révèle le CEO. On se transforme en une société publique-privée”. Par ailleurs, la jeune pousse travaille sur “un projet d’expérimentation avec l’Article 51” pour obtenir un financement pérenne de ses solutions, indique Clément Labiche. L’Article 51 est un dispositif gouvernemental s’adressant à tout porteur de projet dans la santé afin de favoriser l’innovation. 

Une chose est sûre, Stella Surgical ne compte aujourd’hui aucun challenger dans le domaine de la valorisation des données des personnes décédées. “Nous proposons à la fois des solutions de diagnostic, mais aussi de logistique, jusqu’à la greffe de l’organe”. Dans ce secteur, la start-up a su se positionner tôt sur le créneau prometteur de l’intelligence artificielle et de la valorisation de données, pendant que les grands acteurs industriels “sont restés concentrés pendant des années sur la fabrication de machines”, résume l’entrepreneur.

Le grand point fort de Stella Surgical est son expérience pointue du terrain et des problématiques rencontrées par les personnels médicaux. “Sans chirurgien dans mon équipe, je n’en serai pas là, estime Clément Labiche. Nous ne sommes pas là pour les remplacer -mais pour les accompagner et pour contribuer nous aussi, indirectement, à sauver des vies”.

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