Avec son exosquelette issu de 5 ans de R&D, Japet entend mettre un terme au mal de dos

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D'après l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), tout le monde ou presque est concerné par le mal de dos : dans une population en âge de travailler, plus de 2 salariés sur 3 ont eu, ont ou auront une lombalgie. Cela impacte non seulement la santé et les conditions de vie de la personne souffrant du mal de dos, mais aussi son entreprise, pour qui ce type de pathologie représente un poste de coût important. En cause : les arrêts de travail et le handicap consécutifs aux lombalgies des salariés. Dans certains pays, l'évaluation de ces coûts est proche de 1 % du PIB. C'est en partant de ce constat que trois entrepreneurs ont créé Japet, qui a mis au point un exosquelette d'un nouveau type, visant à prévenir ou soulager les maux de dos.

La rencontre avec Antoine Noël, CEO et co-fondateur de Japet, a été l'occasion d'aborder la création et le financement de l'entreprise, ainsi que les défis technologiques sous-jacents.

 

Comme souvent chez les entrepreneurs, c'est en étant confronté de près à un problème qu'ils se lancent dans la création d'un projet. Dans le cas de Japet, l'idée de l'exosquelette est née d'un besoin bien réel : Amélie Blondeaux, co-fondatrice et directrice conception de la startup, a dû arrêter ses études pour accompagner sa mère qui souffrait d'un mal de dos l'handicapant dans son travail. A ce cas d'usage très personnel sont venus se greffer les savoir-faire respectifs des deux autres co-fondateurs. Tout juste diplômé de l'Ecole Centrale de Lille, Damien Bratic a injecté dans le projet son expertise dans le domaine des dispositifs médicaux destinés à traiter spécifiquement la lombalgie. Grâce à son passé de chercheur dans le domaine des exosquelettes pour des divisions de l'armée française et américaine, Antoine Noël a pu quant à lui apporter ses connaissances en matière d'exosquelettes - en les transposant du secteur militaire au domaine médical.

Un produit, deux publics : du mal de dos chronique à la prévention des lombalgies au travail

Avant d'examiner les spécificités techniques de l'exosquelette créé par Japet, il convient de revenir sur le dispositif lui-même. Un exosquelette désigne toute structure externe qui vient soutenir le corps pour remplacer l'une de ses fonctions. Cela peut être le cas de la marche, comme le propose l'exosquelette Wandercraft par exemple, ou encore du ski. Japet a choisi de cibler les personnes qui mobilisent leur dos au quotidien, au travers de deux axes : l'axe curatif, pour aider les personnes souffrant du dos, et l'axe préventif, qui consiste à soutenir les employés portant des charges lourdes ou effectuant tout mouvement dangereux pour leur dos de façon répétitive.

"Ce qui se passe généralement pour le travailleur, c'est que la répétition de ces gestes vient augmenter la pression sur sa colonne vertébrale et finit par abîmer son dos", nous explique Antoine Noël. L'exosquelette créé par Japet vise précisément à libérer cette pression et compenser l'effet de l'activité du travailleur. Comment ? Par le biais de deux ceintures accrochées ensemble, l'une sur le bassin, l'autre sur les côtes, entre lesquelles deux moteurs viennent créer une traction lombaire. Les résultats cliniques sont probants : 75% des personnes qui l'ont essayé ressentent un soulagement immédiat d'après son co-fondateur.

 

La conjonction d'un savoir-faire robotique, textile et médical 

S'il existe des solutions qui peuvent sembler similaires, l'exosquelette de Japet se différencie surtout par le côté actif et global du dispositif. "Les solutions concurrentes, qui émanent d'entreprises industrielles, sont pour la plupart passives : elles assistent la personne dans des mouvements spécifiques, liés à des tâches très précises", déclare Antoine Noël. "Au contraire, en soutenant mécaniquement et robotiquement le port de charge, quelle que soit l'activité de la personne, notre système se focalise sur l'Homme et non sur la tâche". De fait, grâce à sa ceinture réglable, le dispositif standard, adapté à deux morphologies, permet de couvrir 95% de la population.

Pour en arriver là, Japet a dû combiner un savoir-faire qui se décline sur trois pans principaux : la dimension robotique, avec des brevets déposés sur la technologie qui soutient le port de charge et le mouvement ; l'aspect intégration, qui témoigne de la capacité de l'équipe R&D à savoir intégrer la technologie robotique dans un ensemble souple et textile, à l'issue de cinq années de recherche ; enfin, le côté médical, puisque l'entreprise touche de près à la santé de ses utilisateurs. Ce dernier aspect est lourd de conséquences en matière réglementaire. "Il nous a fallu obtenir les certifications médicales nécessaires pour s'assurer que notre exosquelette n'entraînait pas de risque et qu'il pouvait apporter de la satisfaction à ses utilisateurs", reconnaît ainsi le CEO de Japet.

En tant que dispositif de classe 2A*, avec des revendications importantes au niveau de la douleur, l'exosquelette Japet a en effet dû passer une batterie de tests pour vérifier sa conformité à la réglementation. "La mise sur le marché français et européen a représenté un investissement conséquent pour l'équipe, synonyme de 18 mois de travail acharné", confie Antoine Noël. Et ce n'est pas fini : avec l'internationalisation prévue en Asie, en Europe du Sud et en Amérique du Sud, la problématique règlementaire devrait être amenée à se représenter dans le futur.

 

Aider les entreprises à intégrer la solution dans le quotidien du travailleur 

Au fil du temps, la stratégie de go-to-market a évolué : lorsque les trois co-fondateurs imaginent l'exosquelette, leur volonté est d'abord d'en faire bénéficier le plus grand nombre. Mais très vite, ils se heurtent à la réalité du coût du dispositif, trop élevé pour être supporté par des particuliers. Japet adopte alors une stratégie de commercialisation B2B, en ciblant les hôpitaux et leurs programmes de rééducation pour patients qui souffrent du dos. Si l'usage médical est celui qui semble le plus évident - en vertu du bénéfice immédiat qu'il procure aux patients -, les fondateurs s'aperçoivent rapidement que certaines entreprises pourraient bénéficier de l'exosquelette. "En constatant que les problématiques de dos dans l'activité professionnelle coûtaient très cher aux entreprises, nous avons essayé d'imaginer comment soutenir les travailleurs dans leur activité", résume Antoine Noël, dont la société cible particulièrement les secteurs de l’industrie, de la logistique mais aussi du service à la personne et du BTP.

Ses interlocuteurs sont tout aussi variés : du responsable ergonomie aux responsables logistique ou production, en passant par le manager garant du savoir-faire. "Souvent, ces personnes se tournent vers Japet en espérant trouver la solution miracle à des problématiques telle que l'accidentologie lombaire ; notre rôle est alors de préciser le besoin et de faire comprendre à l'entreprise quand et comment intégrer notre solution dans le quotidien de ses employés". Car plus qu'un produit, c'est une véritable solution que Japet fournit aux entreprises, dont le service après-vente inclut entre autres une aide à la sélection des postes adaptés et un accompagnement à l'intégration de la technologie.

La "wearable medicine", ou comment combiner le meilleur de l'homme et de la machine

Parce qu'il est indissociable d'un imaginaire futuriste, l'exosquelette de Japet pourrait à certains égards s'apparenter à une forme de transhumanisme. Une vision que n'est pas sans tempérer Antoine Noël, aux yeux de qui la technologie Japet incarne une tentative de réunir le meilleur des deux mondes. "Loin de remplacer l'Homme, notre exosquelette s'appuie sur la capacité de calcul et d'adaptation du cerveau humain combinée à la puissance mécanique de la machine", argumente le CEO de Japet. Une réflexion qui prolonge le concept de "wearable medicine", ou la volonté de développer des solutions technologiques validées médicalement qui soient confortables pour leur utilisateur sur le long terme. Il n'en fallait pas moins pour une entreprise nommée en référence au Titan de la mythologie grecque, dont le fils Atlas reprit la voûte céleste à Hercule afin de soulager son dos...

 

*Les dispositifs médicaux sont classés en fonction de leur risque potentiel pour le patient, afin de contrôler les exigences réglementaires qui s'appliquent au fabricant. En Europe, il existe 4 classes de dispositifs médicaux, par ordre de criticité : I, IIa, IIb et III. (source : https://www.qualitiso.com/classification-europeenne-dispositifs-medicaux/)