Harmonisation fiscale européenne : vers la fin du crédit impôt recherche ?

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Vous avez peut-être vu passer cette information inquiétante selon laquelle un projet de directive européenne menaçait le CIR (Crédit d’impôt recherche) français. Pour en avoir le cœur net, nous avons fait le point avec deux avocats fiscalistes, Sarah Espasa Mattei et Anaïs Ferré, spécialistes du CIR au cabinet Jeausserand Audouard à Paris.

En quoi consiste ce projet de directive Accis ?

Le projet de directive Accis (Assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés) présenté en octobre 2016 par le commissaire européen Pierre Moscovici au nom de la Commission européenne a pour objectif d’harmoniser progressivement les règles qui définissent l’assiette de l’IS (Impôt sur les sociétés). On parle beaucoup des différences de taux d’IS entre les Etats membres dans le débat public, mais il existe aussi des différences sur la façon dont chacun définit l’assiette de l’IS.

Que prévoit le projet Accis pour les dépenses de R&D ?

L’article 9 du projet Accis prévoit une « super déduction » sur l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui justifient de dépenses de recherche et développement. Le montant de cette déduction supplémentaire d’impôt serait de 50 % pour les dépenses de R&D (essentiellement liées aux salaires) jusqu’à 20 millions d’euros et de 25 % pour les dépenses au-delà de 20 millions d’euros. Le texte prévoit aussi une déduction spécifique de 100 % pour les entreprises en démarrage créées il y a moins de 5 ans.

Pourquoi ce projet Accis menace-t-il le CIR ?

Une déduction d’impôt n’est pas un crédit d’impôt : quand on est une start-up déficitaire qui ne paye pas d’IS, bénéficier d’une déduction sur un impôt futur n’a pas du tout le même impact que bénéficier de cash à court terme. Le CIR français est un dispositif particulièrement attractif car il consiste en une avance versée aux start-up qui ont un besoin crucial de trésorerie. Or le projet d’Accis n’est pas clair sur ce point : les deux systèmes, déduction à l’européenne et crédit d’impôt à la française, peuvent-ils coexister ? D’où les inquiétudes exprimées par la France sur l’avenir du CIR.

Quelles seraient les entreprises concernées par cette directive ?

Heureusement ce projet de directive Accis ne concerne que les grands groupes qui réalisent plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires consolidés. Autrement dit, il ne concerne pas à court terme les start-up ou les PME (Petites et moyennes entreprises). A plus long terme, le Parlement européen a cependant proposé que ce seuil de chiffre d’affaires soit progressivement abaissé sur une durée de 7 ans.

Quelles sont les chances pour que le projet Accis aboutisse ?

Il est difficile de répondre à cette question car cette directive fait quand même partie des priorités dans les mesures fiscales à mettre en œuvre au plan communautaire. Toutefois, il est important de rappeler que, pour que ce projet d’harmonisation de l’assiette de l’IS soit validé, il faudra l’unanimité du Conseil de l’Union européenne. Or les ministres des gouvernements qui y siègent veillent chacun à préserver leur politique fiscale spécifique... Aussi, le CIR est un avantage concurrentiel que la France entend bien maintenir pour attirer les entreprises innovantes. Pour mémoire, ce projet de directive Accis qui date de 2016 fait suite à un premier projet d’harmonisation fiscale qui avait déjà été proposé en 2011 et qui n’avait pas été adopté à l’époque car il était trop ambitieux.

Peut-on envisager un CIR européen ?

Oui, c’est possible. Il y a eu récemment, en mars 2018, une proposition d’amendement par le Parlement européen pour remplacer la déduction d’impôt proposée par la commission européenne par un véritable crédit d’impôt. Ce CIR européen s’élèverait à 10 % des dépenses de R&D avec une assiette portant sur les dépenses liées aux salariés mais aussi aux sous-traitants et aux travailleurs intérimaires. Le principe même d’un crédit d’impôt européen vient donc d’être envisagé par le Parlement européen, même si ce n’est à ce stade qu’une première proposition. Si ce projet de CIR européen aboutit au niveau communautaire, il paraîtrait alors difficilement envisageable que le CIR à la française puisse encore coexister. Ceci étant dit, il est certain que la France, qui tient beaucoup à son dispositif, devrait militer pour le maintien d’un mécanisme de crédit d’impôt qu’il soit français ou européen. Affaire à suivre.

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