Ariana Pharma révolutionne les essais cliniques grâce à l'IA

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Le comité scientifique d'Ariana Pharma en 2013 - au centre, Mohammad Afshar

Certains domaines requièrent plus de patience que d'autres pour un entrepreneur. C'est le cas de la MedTech. Les débats actuels autour des délais nécessaires à la mise au point par les laboratoires d'un vaccin anti-covid en attestent.

Lorsqu'en janvier 2003, Mohammad Afshar crée Ariana Pharma, le Docteur en biochimie n'imagine sans doute pas qu'il s'engage dans un projet de si longue haleine. Ce qu'il a alors en tête, c'est d'appliquer les technologies d'Intelligence Artificielle (IA) et de data mining* aux problématiques posées par les essais cliniques. Des questions plus que jamais d'actualité en période de pandémie, sur lesquelles le CEO d'Ariana Pharma a accepté de revenir pour nous. 

 

Repenser les essais cliniques : un chantier vaste mais nécessaire

A l'origine d'Ariana Pharma, qui se décrit comme une "digital health company", il y a le constat lié à l'efficacité inégale des médicaments. Trop souvent d'après Mohammad Afshar, les médicaments qui font l'objet d'essais cliniques n'ont pas l'effet désiré, ou alors s'accompagnent d'effets secondaires. Le chercheur et PhD en biochimie constate d'ailleurs que moins de 10% des projets d'essais cliniques aboutissent à l'enregistrement d'une molécule thérapeutique. Inutile de dire qu'un contexte comme celui que nous traversons actuellement rend d'autant plus pressant le besoin de médicaments efficaces, et nécessite d'accélérer les tests cliniques indispensables à la validation de ces derniers.

Pour saisir la proposition de valeur d'Ariana Pharma, il faut comprendre comment fonctionnent les essais cliniques classiques. De manière schématique, ils peuvent être découpés en trois grandes phases. D'abord, on va tester la molécule et identifier le dosage maximum toléré et non toxique. Ensuite, lors d'une deuxième itération, le test va déterminer le dosage optimal de la molécule dans le médicament et montrer son effet biologique. Enfin, lors d'une troisième étape, qui constitue la plus ambitieuse en termes de ressources, les chercheurs vont mesurer si la molécule fonctionne, c'est-à-dire si son efficacité est statistiquement significative par rapport à un placebo ou un traitement existant dans un échantillon représentatif de la population cible.

La problématique à laquelle s'attelle Ariana Pharma est la suivante : comment définir et sélectionner le plus efficacement possible l'échantillon représentatif de la sous population qui peut potentiellement le mieux bénéficier d’un traitement donné et sur lequel les tests vont être effectués ? Lorsque la sélection des individus n’est pas suffisamment précise, l’hétérogénéité de la population rend les résultats de l’essai clinique aléatoire, aboutissant souvent à un échec ! 

Grâce à sa plateforme KEM (pour Knowledge Extraction Management) et à son usage de l'Intelligence Artificielle sur un set de données très complet, Ariana Pharma va au contraire spécifier un échantillon de patients-testeurs plus restreint, mais surtout beaucoup mieux ciblé. "L'idée, explique son CEO, c'est de collecter les datas qui caractérisent les patients sur lesquels on veut tester la molécule médicamenteuse de la manière la plus précise et granulaire possible". De quelles datas parle-t-on ici ? "Ce qui nous intéresse, ce sont aussi bien les caractéristiques classiques des individus telles que l'âge, les antécédents médicaux, leur caractéristiques cliniques que des datas génétiques comme l'ADN, l’ARN, ou encore le microbiote intestinal", détaille Mohammad Afshar.

 

L'application de l’Intelligence Artificielle au secteur médical

A partir de la collecte de ces données, le challenge pour Ariana Pharma consiste grâce à son IA de générer toutes les hypothèses cohérentes et à "organiser cet espace combinatoire", ainsi que le formule le CEO de la startup. La finalité ? Trouver les patients qui pourraient le mieux bénéficier d’un nouveau médicament, en fonction de leurs caractéristiques. Ce que permet en fait la méthode de la startup, c'est de personnaliser l'approche générique du test clinique et ainsi d’industrialiser l’approche de « médecine de précision ». Les avantages pour les partenaires d'Ariana Pharma sont évidents : en ciblant mieux les personnes sur lesquelles on teste la molécule, ils peuvent à la fois augmenter les chances de succès de l’essai clinique et réduire le temps pour parvenir à l'approbation du médicament. "En testant toutes les hypothèses d'un coup, notre méthode permet de comprendre systématiquement pourquoi certaines caractéristiques, notamment des marqueurs génétiques fonctionnent plus que d'autres", synthétise Mohammad Afshar. Pour essayer de comprendre ce qui se cache derrière la technologie mise au point par les équipes d'Ariana Pharma, il faut en revenir à la notion d'IA explicable. Ce type d'IA permet de mettre en lumière des relations de type logique : "si j'ai un patient qui a eu X et Y, alors il a une probabilité plus forte de répondre positivement à la molécule". Ces relations vont ensuite être enrichies par la connaissance du domaine, en procédant notamment à l'intégration de données issus de l’expérience clinique des médecins et chercheurs impliqués.

Face à l'immaturité du marché, le business model a longtemps tâtonné

Fortes de cette innovation technologique, à la croisée de l'IA et de la bio-informatique, les équipes d'Ariana Pharma pensent d'abord développer un logiciel SaaS pour monétiser leurs travaux. Après quelques tâtonnements, le modèle économique a finalement évolué, pour mieux capitaliser sur la création de valeur récurrente. Le modèle actuel est celui du partenariat, avec des coûts d'accès et des "success fees", que le partenaire paie une fois qu'il a obtenu la validation du médicament. "Un tel modèle nous permet d'assurer une collaboration sur la durée avec les sociétés qui développent des thérapies", explique Mohammad Afshar; "notre partenaire bénéficie de notre plateforme ainsi que de notre expertise dans le design puis l'analyse de l'essai clinique". Il y a un dernier volet sur lequel l'expérience d'Ariana Pharma est précieuse : la stratégie réglementaire. Une fois l'essai clinique abouti, il faut intégrer la notion de sous-population cible afin d’accélérer l'approbation du traitement. Ariana Pharma travaille avec des laboratoires pharmaceutiques et des Biotech qui développent des produits thérapeutiques. L'essentiel de ses revenus provient des Etats-Unis, où la startup a collaboré dès 2014 avec la Food and Drug Administration (FDA, l'autorité qui décide de la commercialisation des médicaments aux Etats-Unis) en lui apportant un soutien technique.

Toutefois, l'adoption par les laboratoires des méthodes innovantes de la "digital health company" ne s'est pas faite du jour au lendemain. La façon dont a été accueillie l'irruption de l'IA est à cet égard bien révélatrice. "Il y a six ans, lorsque je discutais avec le directeur médical d'un grand groupe pharmaceutique, il qualifiait ce que l'on faisait de "torture de datas"", confie Mohammad Afshar. Il faut essayer de comprendre ces acteurs : la médecine de précision que permet Ariana Pharma s'accompagne de deux aspects. "Certes, grâce aux biomarqueurs, on identifie les patients pour lesquels une molécule est efficace, mais cela signifie aussi que l'on identifie les patients pour qui elle ne l'est pas", poursuit le CEO d'Ariana Pharma. En ce sens, certains laboratoires peuvent craindre que ce type de technologie puisse restreindre leur marché. Néanmoins l’exigence de plus en plus forte de la démonstration d’une efficacité importante afin d’obtenir un résultat a poussé l’ensemble des acteurs à préférer une population cible plus restreinte avec une efficacité démontrée plus importante à une population cible plus grande mais une efficacité plus faible. D’autre part, avec l’entrée de grands acteurs comme IBM qui a popularisé sa solution d'Intelligence Artificielle Watson, le milieu est devenu plus familier, et de fait moins méfiant, à l'égard de ces innovations. Comme dans d'autres secteurs de la Tech, le product-market-fit et la maturité du marché sont cruciaux pour qu'une innovation prenne.

De l"'importance du CIR pour les PME technologiques"

En dix-sept années d'existence, la construction du plan de financement d'Ariana Pharma a eu le temps d'évoluer. La startup est passée par plusieurs phases : par le passé, elle a fait appel à des investisseurs privés, dont certains sont depuis sortis de son capital. L'Institut Pasteur, présent depuis les origines du projet puisqu'Ariana Pharma en est une spin-off, est toujours au capital. Aujourd'hui, Mohammad Afshar avoue privilégier la pérennité du projet, en s'appuyant sur trois leviers majeurs de financement : d'une part, les revenus issus des collaborations industrielles permettent d'assurer la stabilité financière de la startup. D'autre part, les aides sous formes de subventions ou avance remboursable financé par BPI permettent de lancer des projets très risqués. Enfin la partie innovante de l'activité, qui est financée par le Crédit Impôt Recherche. Le CEO d'Ariana Pharma déplore la presse négative dont souffre le CIR en France : "c'est oublier que pour les petites entreprises au cœur de la recherche médicale, qui doivent tenir dans la durée pour résoudre les problèmes technologiques qu'elles affrontent, qui doivent tenir le temps que le marché s'adapte, pour toutes ces entreprises-là, le CIR est essentiel." Dépité par la désinformation qui accompagne les discours autour du CIR, Mohammad Afshar cite comme preuve du sérieux du dispositif les 40 pages de dossier techniques requises par l'administration. Il reconnaît également que au vu de l'instruction du dossier par l’administration prenant entre 8, 12 mois ou plus, le recours à des solutions de mobilisation rapide du capital, comme celle de Neftys, est intéressante. "Quoi qu'on en dise, le nerf de la guerre, ça reste la trésorerie !", s'exclame le CEO d'Ariana Pharma. "Aussi avons-nous besoin de personnes qui puissent évaluer techniquement ces longs dossiers, et qui ont mis en place une structure financière leur permettant de mobiliser rapidement ces capitaux". Pour le chercheur et entrepreneur, le CIR constitue un dispositif essentiel au sein du système français compte tenu du niveau de charges, et des difficultés pour accéder au capital-risque - contrairement à ce qui se passe par exemple au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis. "Le CIR vient compléter et structurer la possibilité de développer un projet de recherche en France", conclut Mohammad Afshar. Pour conserver l'attractivité pour de jeunes talents à l'idée de développer des projets dans l'IA et dans la santé, il faut absolument, d'après ce dernier, maintenir un tel dispositif. "Sinon, on prend le risque de voir ces talents aspirés par d'autres pays...".

Notes :

*Data mining : processus utilisé pour extraire des données utilisables d’un plus grand ensemble de données brutes. (Source)