AIHERD associe savoir-faire vétérinaire et technologie pour aider les éleveurs à surveiller leurs animaux

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Le 31 décembre 2020, la ferme dite des “1000 vaches” fermait définitivement ses portes, dans un fracas médiatique assourdissant. Ce projet de ferme, imaginé et financé par un entrepreneur de travaux publics, avait pour ambition de permettre à des producteurs de se regrouper pour améliorer la productivité ainsi que les conditions de vie de leurs animaux. Décrit comme “un laboratoire d’idées” par un économiste de l’Inrae, le projet a également suscité bien des critiques de la part d’acteurs du secteur (l’association Novissen, mais aussi la Confédération paysanne). Dix ans après son lancement, et après six ans d’exploitation, le projet est abandonné, faute de rentabilité économique. Pourtant, il illustre une tendance dans le monde agricole, qui consiste à ré-imaginer les conditions d’élevages des animaux et à repenser les modalités de la production laitière. D’autres acteurs essaient à leur échelle d’améliorer les conditions d’élevages et le bien être animalier - c’est le cas d’AIHERD, une société qui révolutionne le monitoring des vaches grâce à la vision par ordinateur.

Rencontre avec son fondateur et président, Quentin Garnier.

 

Alléger l’impact économique des pathologies animales

Vétérinaire en médecine de troupeau, Quentin Garnier a été confronté de près à la problématique des pathologies animales - et en particulier celles qui touchent les vaches. Son premier constat est le suivant : “Les pathologies dans l’élevage sont communes à l’ensemble des animaux”, déclare-t-il lorsqu’on lui demande comment il en est arrivé à créer AIHERD. Le problème, c’est que ces pathologies sont dures à détecter à temps, et que cette latence engendre un coût économique considérable pour l’éleveur. En moyenne, l’impact économique de l’ensemble de ces pathologies est de 500 euros par vache par an, d’après Quentin Garnier. Au-delà de l’aspect économique, il y a évidemment la préoccupation que ces pathologies engendrent pour les éleveurs soucieux du bien-être de leurs animaux. Pour toutes ces raisons, Quentin Garnier et ses associés ont décidé de mettre au point une solution capable de détecter les pathologies qui touchent les animaux, afin de les prédire et de les soigner à temps.

Le problème majeur auquel se sont confrontés les fondateurs d’AIHERD, c’est le manque de sources de données. “Il est difficile d’avoir un dashboard sur une vache”, commente Quentin Garnier. “Des solutions existent, certes, mais elles ne s’intéressent le plus souvent qu’à un seul paramètre”. Jusque-là, les éleveurs pouvaient avoir recours à des colliers dont ils équipaient leurs vaches, sortes de dispositifs Fitbit pour animaux, capables de détecter lorsque ces derniers sont en chaleur. Comme l’explique le président d’AIHERD, l’une des applications recherchées par les éleveurs consiste en effet à détecter le moment le plus propice pour inséminer la vache. Ce qui est loin d’être optimal aujourd’hui, puisque selon Quentin Garnier, même équipé de ces dispositifs, chaque année, l’éleveur rate la fenêtre de tir de l’insémination à peu près une fois sur deux. Ce qui représente évidemment un coût d’opportunité important, au même titre que les pathologies dont il était question plus haut.

La vision par ordinateur au service du bien-être des vaches

Fort de ce constat et de ses connaissances vétérinaires, Quentin Garnier imagine un dispositif technologique qui ne serait pas positionné sur l’animal, mais qui aiderait néanmoins les éleveurs à surveiller l’état de leur troupeau. “Contrairement à certains préjugés, les éleveurs forment une profession habituée à la technologie : ainsi, ils recourent par exemple depuis longtemps à des robots pour faire la traite des vaches”, explique le fondateur d’AIHERD. Le dispositif imaginé par la startup prend la forme de caméras placées dans l’étable, qui suivent et enregistrent les mouvements de chaque animal. Grâce à une technologie comparable au QR code, chacune des vaches va être identifiée de manière unique et continue par les motifs de son pelage. “Nous sommes allés chercher des briques de vidéosurveillance, développées conjointement par le CEA et Thalès, qui sont utilisées par l’armée pour surveiller les aéroports, et nous les avons appliquées au monde de l’élevage”, révèle Quentin Garnier.

Comment détecter concrètement les pathologies des animaux à l’aide de caméras ? La vision par ordinateur permet de mettre en lumière des séries temporelles, et notamment deux types de données : les courbes de déplacement d’un animal, et les courbes d’interaction des animaux entre eux. Ainsi, les caméras d’AIHERD comptabilisent le temps que chaque vache passe à manger, boire ou dormir. Les algorithmes sont ensuite nourris des connaissances vétérinaires, de sorte que le logiciel fourni aux éleveurs est capable de “lire” les courbes de déplacement des animaux. Grâce à une fine connaissance des éléments morphologiques et comportementaux des bêtes, l’équipe d’AIHERD a pu déceler des motifs indiquant l’apparition d’une pathologie.

Par exemple, un animal en chaleur se déplace 30% de plus qu’un animal qui ne le serait pas. Dans cet exemple spécifique, AIHERD croise l’ancienne méthode de détection, qui consiste à observer le déplacement de l’animal en chaleur, avec une nouvelle méthode, qui consiste à regarder le déplacement de ses congénères. Et ça fonctionne : “Les colliers détectent entre 60 et 70% des chaleurs, nous faisons mieux”, estime Quentin Garnier. Selon un principe similaire, AIHERD peut détecter les pathologies liées à la locomotion, ou encore les mammites (pathologie des mamelles, qui compromettent la capacité de la vache à produire du lait). La littérature vétérinaire classe ces pathologies d’un point de vue de l’impact économique pour l’éleveur. En utilisant AIHERD, l’éleveur peut paramétrer un système d’alerte en fonction de ses préoccupations. “Notre solution va en réalité bien plus loin que la simple détection des pathologies”, avance Quentin Garnier. “Grâce à AIHERD, il peut prendre une décision fondée sur une expertise et une analyse en temps réel”.

Une solution en cours de commercialisation, des ambitions internationales

La commercialisation de la solution a débuté il y a quelques mois. “A l’heure actuelle, nous avons équipé six fermes, et sommes en train de recruter des commerciaux afin d’accélérer”, déclare Quentin Garnier. L’ambition d’AIHERD est d’emblée internationale : parmi les six fermes déjà équipées, l’une se situe en Hollande, l’autre en Belgique. Et pour cause : qu’elles soient chinoises, allemandes, américaines ou australiennes, les fermes de production laitière connaissent les mêmes problématiques, d’après le président d’AIHERD. De fait, la startup s’adresse au marché de la production laitière occidentale dans son ensemble, ce qui représenterait 180 millions d’animaux. La seule condition pour que la solution d’AIHERD puisse opérer ? “Que l’animal passe 50% du temps dans l’étable”, décrète Quentin Garnier.

Jusqu’ici financée par des subventions et des prêts, l’entreprise est actuellement en cours de levée de fonds. AIHERD pourrait à terme intéresser deux types d’acteurs industriels : les laboratoires pharmaceutiques d’une part, et les producteurs de matériel d’autre part. En matière de diversification, la solution pourrait être appliquée à d’autres animaux, à condition qu’il y ait un sens économique à déployer ce type de surveillance... Avec toujours une préoccupation majeure : détecter les pathologies le plus rapidement possible, et ce faisant, veiller au bien-être animal.